Une commune frontalière
Véritable balcon sur l’agglomération genevoise, la commune d’Archamps possède quelques centaines de mètres de frontière avec la Suisse. Sa population à la réputation d’être « la plus riche de France » : le revenu médian est en effet le plus élevé du pays. Mais Archamps ne se borne pas uniquement à sa qualité de vie car la commune est connue -plus localement- pour son technopôle très important, symbolisé par son imposant cinéma trônant au cœur d’un grand complexe et qui accueille tous les cinéphiles accomplis de la région, parfois même de Suisse voisine. Beaucoup plus méconnues, Archamps possède également les ruines d’un château qui appartenaient aux nobles de Montfort, vassaux des comtes de Genève au XIIIème siècle. Les ruines sont situées au pied du Salève, à environ 850 mètres d’altitude et sont difficilement accessibles.
Saint Maurice, patron de la Savoie
Une nouvelle fois, l’église paroissiale est placée sous le vocable de saint Maurice qu’il n’est peut-être pas utile de présenter une nouvelle fois ici. La paroisse est attestée en 1145 comme dépendante de l’abbaye de Talloires avec sa voisine Collonges. En 1412, Archamps passe sous la tutelle de sa voisine jusqu’en 1536, date où les Bernois envahissent le nord de la Savoie et imposent le protestantisme aux habitants. L’église paroissiale, consacrée en 1479, devient donc un temple protestant jusqu’en 1597 lorsque l’évêque de Genève en exil à Annecy y réinstaure la religion catholique. En 1671, les deux paroisses (Collonges et Archamps) sont séparées jusqu’à la Révolution. D’ailleurs, le 12 juin de cette même année, le maître autel et trois autres autels de l’église d’Archamps sont consacrés. En 1803, les noces entre les deux paroisses sont rétablies et seront cette fois de courte durée car en 1829 déjà, elles sont d’abord séparées pour le spirituel puis, le 15 mars 1836, pour le temporel : Archamps et Collonges-sous-Salève deviennent alors deux entités propres. L’église Saint-Maurice, peut-être encore celle du XVème siècle, sera alors reconstruite en deux temps au XIXème siècle après de multiples réparations entreprises depuis les tourments révolutionnaires (clocher, sacristie, ameublement…). On commencera par le chœur et la nef entre 1846 et 1848 sur les plans de l’architecte genevois Brolliet. Pour l’occasion, le roi donne 600 livres à la paroisse. Le 8 mai 1852 Mgr Rendu, évêque d’Annecy, consacre le lieu de culte. On achèvera la reconstruction du nouvel édifice par le clocher porche et une dernière travée en 1864, sur les plans de l’architecte César Pompée. Ce même clocher verra sa flèche être remplacée en 1982. L’ancienne a été déposée au profit d’une nouvelle charpente flambant neuve.
Des souscriptions et donations
Le 14 juin 1941, à midi, les cloches d’Archamps sonnent pour la première fois à toute volée sans l’aide de sonneurs. Cette opération n’est pas due au saint Esprit mais les cloches avaient tout simplement été électrifiées ! On devait cette révolution à trois généreux donateurs qui n’ont pas souhaité se manifester à l’époque. 80 ans après, leur identité n’est toujours pas connue excepté pour le plus gros des trois dons, dû à Melle Bardy. Mais comme le disait en son temps l’Echo d’Archamps, la revue paroissiale « Mais il y a le Livre où tout est écrit… Et ce Livre est dans les mains de Dieu, qui aura noté, en bonne place, ce beau geste à l’adresse de sa Maison, notre chère église d’Archamps ». L’électrification des cloches a été confiée à la maison Paccard qui a travaillé avec un ingénieur d’Istres, M. Zeeh. Cette opération aura donné lieu à une « taxe » aujourd’hui révolue pour les sonneries des cloches : 15 francs pour une sépulture, 20 francs pour un baptême et 30 francs pour un mariage. Cette taxe devait en fait couvrir la facture d’électricité. Mais ce n’est pas la seule occasion où les paroissiens d’Archamps ont mis la main au porte feuille. Le 10 novembre 1864, les frères Paccard d’Annecy-le-Vieux s’attèlent à fondre une grappe de cloches. Parmi elles, deux sont pour l’église d’Archamps qui inaugure fièrement son nouveau clocher. La première, d’un poids de 620 kilos, a été offerte par l’abbé François Buffet qui donna à la commune 2’500 francs. Nommé dans cette paroisse en 1849, le natif de Publier a servi ce lieu jusqu’à son décès en 1866, à quelques semaines de son soixantième anniversaire. La plus petite cloche pesant 426 kilos est le fruit d’une souscription des fidèles. M. François Lachenal et Melle Marie-Anne Tapponier ont eu l’honneur la parrainer. Il y a un autre élément, aujourd’hui totalement abandonné, qui a été offert par Etienne et Philomène Tapponnier, Marie Juget et le père Albert Juget, prêtre suisse. Il s’agit de l’ancienne horloge mécanique aujourd’hui déposée dans l’obscurité de la salle des cadrans, sous le beffroi. Ce mouvement est signé Paul Odobey et permettait de battre les heures sur la grosse cloche, de son installation en 1895 jusqu’à sa retraite (anticipée, diront certains) en 1941.

Lorsque maître et élèves se rencontrent
La plus grosse cloche du clocher (parlons en enfin !) peut étonner par sa tonalité plus « rugueuse » ou « particulière » car dans un profil beaucoup plus léger que ses deux sœurs cadettes. Il s’agit en effet de la plus ancienne des trois. Elle a été réalisée en 1830 par le fondeur de Carouge Jean-Baptiste Pitton assisté de François Bulliod. Voilà que le clocher d’Archamps regroupe donc, avec les deux autres cloches, deux de ses apprentis. Ou plutôt un disciple et les petits enfants d’Antoine Paccard, un autre élève. Mais pour ce dernier, la collaboration s’est bornée à la cloche de Quintal avant que les Paccard ne deviennent de véritables concurrents. Ce n’est qu’au bout de quelques années que le patriarche de la célèbre dynastie se tourne vers Lyon et Louis Frèrejean pour mieux appréhender l’art de la forge et des métaux. Les Bulliod, quant à eux, ont été plus scolaires avec Pitton. Dès 1828, François Bulliod co-signe des cloches avec Pitton (Viry, 1828 ; Monnetier-Mornex, 1829 ; Archamps et Villars-Tiercelin, 1830 ; Soral, 1831…). En 1833, François Bulliod s’émancipe en coulant ses propres cloches avant d’être rejoint par son frère Jean-Marie quelques années plus tard. L’activité a duré jusqu’en 1857, sonnant le glas d’une fonderie de cloches à Carouge. Entre temps, un autre élève se présente chez Pitton : Georges Kervand, plus tard établi à Genève. les deux fondeurs ont signé ensemble une des cloches du Vaud (Suisse) aussi en 1833. Le fondeur Kervand est attesté jusqu’en 1844 sur le canton de Genève et a pu, d’un pied de nez, faire une cloche pour l’église paroissiale de… Carouge (1839) ! Mais n’oublions pas de mentionner les quelques cloches signées « Pitton et fils » (Montailleur, 1802) ou encore François et Jean-Claude Pitton (Albertville, 1805) attestant que Jean-Baptiste Pitton a, lui aussi, pu travailler en famille. Une question demeure : comment ce fondeur a-t-il pu initier autant de vocations, sans pour autant s’offrir une dynastie à l’image des Paccard ? La dernière cloche de Jean-Baptiste Pitton attestée se trouve à l’école de Vernier (Suisse) et le millésime 1834. Il décèdera quatre ans plus tard (1838). Après avoir longuement disserté sur sa succession, en laissant de nombreuses questions en suspens, se pose aussi la question du commencement. Natif de Châtillon-en-Michaille (France, Ain), il est attesté comme fondeur à Carouge dès 1787 (La Frasse et Cernex, 1787). Les campanophiles avertis et les iconographes noteront des décors similaires, notamment la signature, avec Jean-Daniel Dreffet, fondeur établi à Genève depuis la fin des années 1770. Est-ce lui qui a appris le métier à Pitton, et à travers lui à de nombreux fondeurs ?
La renaissance
Alors que je m’apprêtais à publier les lignes ci-dessus, j’ai trouvé tout à fait par hasard dans le registre des baptêmes de la paroisse entre 1800 et 1828 une gerbe de notes du curé Claude Genoux. Ce dernier a été obligé de fuir pendant presque 10 ans sa paroisse à cause de la Révolution. En poste jusqu’en 1829, il y relate, telle une litanie, l’ensemble des petits travaux qu’il a fait faire dans l’église jusqu’à son décès. Il précise en premier lieu que la cloche de 804 livres (env. 440 kilos) a été faite en 1802 au frais des paroissiens et placée au clocher, ironie du sort, le 14 juillet. L’année suivante, le clocher a été refait pour 484 francs. Il s’agit probablement de sa couverture, puisque les révolutionnaires ont rasé uniquement les sommets des tours. Le curé a payé à ses frais le joug et la corde de la cloche ainsi que les échelles du clocher. Les autres travaux restent souvent mineurs : de nouvelles chasubles, réfections de la sacristie, de la porte de l’église, ou encore de nouveaux chandeliers pour le sanctuaire… Quant à la cloche, un mystère demeure : quand a-t-elle été refondue ? Deux options sont possibles : en 1830, au profit d’une cloche plus grosse, ou alors en 1864. Dans le second cas, on l’aurait sans doute remplacée par une cloche équivalente et supplée par la cloche intermédiaire.
N° |
Nom |
Fondeur |
Année |
Diamètre (cm) |
Masse (kg) |
Note |
1 |
Mathilde |
JB Pitton & F Bulliod |
1830 |
110 |
~800 |
Mi 3 |
2 |
Odile |
Paccard frères |
1864 |
101 |
620 |
Sol 3 |
3 |
Colette |
Paccard frères |
1864 |
88,8 |
426 |
La 3 |
Remerciements :
La commune et la paroisse d’Archamps.
M. Claude Mégevand, président de l’association « la Salévienne ».
M. Michel Brand, historien et ancien élu d’Archamps.
Sources & Liens :
« Gerbes de notes et documents », Mgr le chanoine Charles-Marie Rebord, 1922
« Dictionnaire du Clergé régulier et séculier du diocèse de Genève-Annecy de 1535 à nos jours », Mgr C.-M. Rebord, 1920
« Echos d’Archamps », revue paroissiale n° 6, 1941
« L’église à un nouveau clocher », bulletin municipal, décembre 1986
Registre des baptêmes de la paroisse d’Archamps 1800-1828, Archives départementales 74, côte 1J3080
Délibérations du Conseil Municipal d’Archamps 1860-1878, Archives départementales 74, côte E DEPOT 16/1 D
Les cloches du Canton de Genève, Auguste Cahorn, 1925
Inventaire sommaire des cloches de Haute-Savoie initié par Auguste Cahorn, 1887/1889
Commune d’Archamps
Paroisse Saint-Pierre-et-Saint-Paul en Genevois
Association la Salévienne
Archives historiques du diocèse d’Annecy
Matthias Walter, expert-campanologue à Berne (CH)
Relevé et clichés personnels
Fonds privés