Cela fait quelques décennies que la Butte Montmartre est mondialement célèbre pour sa basilique. Mais l’endroit a toujours été un lieu propice au culte et au pélerinage. Les romains y ont fait construire deux temples, dédiés à Mars et à Vénus. C’est sur cette colline que fut martyrisé Saint-Denis, premier évêque de Paris. La première chapelle chrétienne a été placée sous la protection du martyr au Ve siècle. 1500 ans se sont écoulés, et la butte abrite deux églises paroissiales, dont l’église Saint Pierre, la plus ancienne de Paris, trois communautés religieuses et la célèbre Basilique du Sacré-Cœur.
L’histoire de la basilique commence à la fin de la guerre de 1870 opposant les Français aux Prussiens. Alors que la France panse sa défaite, Messieurs Legentil et Rohault de Fleury décident d’édifier une église consacrée au Sacré-Cœur pour réparer les pêchés commis, car pour eux, cette défaite provient du Ciel et non de la politique. Fin 1872, le cardinal-archevêque de Paris Guibert approuve ce vœu, et choisit Montmartre comme lieu d’édification. Un an après, l’Assemblée Nationale reconnaît l’utilité publique de la construction. Début 1874, un concours est lancé pour choisir l’architecte en charge du projet. Le lauréat, Paul Abadie, opte pour un édifice néo-romano-byzantin. Six autres architectes lui succéderont pour superviser le travail à accomplir.
La première pierre est posée en juin 1875. Avant que la basilique ne sorte de terre, il aura fallu creuser jusqu’à 33 mètres de profondeur pour que le monument ne s’enfonce pas dans le sol constitué de glaise. En 1878, les bâtisseurs peuvent enfin commencer la crypte, puis l’église et ses murs trois ans après. En 1891, le sanctuaire est inauguré par le cardinal Richard, alors que le grand dôme est encore absent.
Le campanile, à l’arrière de l’édifice, sera achevé en 1912 sous les plans de Lucien Magne. En raison de la Première Guerre mondiale, l’édifice, qui devait être consacré fin 1914, ne le sera qu’en 1919 par le cardinal Amette. C’est à ce moment que l’église est élevée au rang de basilique mineure. La mosaïque du Christ en gloire est inaugurée, quant à elle, en 1923.Le campanile à l’arrière de la basilique abrite aujourd’hui cinq cloches, dont la plus grosse de France. En réalité, il en a compté bien plus jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Depuis sa construction, la Savoyarde en a été la pièce maîtresse.
On doit cette immense cloche à Mgr. Leuillieux, archevêque de Chambéry. C’est lui qui en a eu l’idée et qui lança officiellement la souscription en janvier 1889 pour fondre une cloche destinée au campanile de la basilique. Ce fut la contribution officielle de la Savoie à France, pour le Vœu National, mais aussi pour son rattachement à l’Hexagone le 12 juin 1860. L’ecclésiastique avait ajouté que les familles, municipalités, paroisses et confréries les plus généreuses auraient leurs noms ou armes gravés sur la cloche.
La commande est passée le 27 octobre de la même année, et la coulée effectuée le 12 mai 1891 par la fonderie Paccard d’Annecy-le-Vieux. Curieusement, la date inscrite sur la cloche est 1890. De son vrai nom « Françoise Marguerite du Sacré-Cœur de Jésus », la Savoyarde effectue son entrée dans la capitale le 15 octobre 1895. Elle était partie d’Annecy cinq jours auparavant. En 1892, l’entreprise familiale se demandait déjà comment l’acheminer jusqu’à l’église. Le bourdon fut hissé sur la butte par vingt-six chevaux et les rues empruntées furent sablées pour faciliter le travail des percherons. La cloche fut solennellement bénite le 21 novembre 1895 par le cardinal Richard, des milliers de fidèles et des centaines de religieux assistèrent à la cérémonie. L’église fut décorée avec le plus grand soin pour cet événement unique. L’office fut scindé en deux : la première partie se déroula dans le monument encore en travaux, alors que la bénédiction proprement dite se tint à l’extérieur, où se trouvait la Savoyarde, à savoir au pied du campanile, lui aussi en construction. Quatre jours après la bénédiction, une fête populaire (mais religieuse) fut présidée cette fois par l’archevêque de Chambéry, accompagné de ses vicaires, de prêtres savoyards et -entre autres- des évêques de Bayeux et d’Évreux.
Installée sur un beffroi provisoire en bois depuis son arrivée, la cloche fut sabotée en 1905. Les autorités, peinées, ne souhaitaient tout d’abord plus la faire sonner. Malgré cet incident, la Savoyarde fut hissée dans le campanile en mars 1907.
C’est en octobre qu’elle se fit entendre pour la première fois depuis son emplacement définitif, alors que le campanile n’était pas encore achevé. Installé en « lancé », le bourdon nécessitait huit hommes pour appuyer sur les pédales (comme à Saint-Denis) et s’accrocher aux cordes pour sa mise en branle. Avec ses équipements, il pesait 27 tonnes. En 1908, M. Bollée, fondeur de cloches, est chargé d’optimiser la volée de la Savoyarde, mais aussi d’installer un marteau de tintement pour un usage plus quotidien. Ce marteau, aujourd’hui électrique, lui permet de retentir lors de l’élévation. En 1947, Paccard installe la cloche en rétro-lancé, car elle fragilisait son campanile.
La Savoyarde n’est aujourd’hui plus la seule voix du Sacré-Cœur. Quatre autres cloches, plus modestes, y sont installées depuis 1969. Placées au dessus du bourdon, elles proviennent de l’église Saint Roch, aujourd’hui muette. Elles succèdent à un carillon de 37 cloches fondu par la fonderie alsacienne Causard. Bien qu’il ait survécu à la seconde guerre mondiale et aux Allemands, ce carillon électrique, d’un poids de 1’357 kg, est porté disparu en 1946. On ne connaît pas le(s) motif(s) de son démontage.
N° |
Nom | Fondeur | Année | Diamètre (cm) | Masse (kg) |
Note |
1 | Françoise-Marguerite du Sacré-Cœur, dite « Savoyarde » | G&F Paccard | 1891 | 303 | 18835 |
Do ♯ 2 |
2 |
Félicité | Hildebrand | 1838 | 148,6 | 1800 | Do 3 |
3 | Louise | Hildebrand | 1838 | 132,4 | 1300 |
Ré 3 |
4 |
Hyacinthe Elisabeth | Hildebrand | 1839 | 119,4 | 1000 | Mi 3 |
5 | Nicole | Hildebrand | 1838 | 110,1 | 800 |
Fa 3 |

La Savoyarde, plus grosse cloche de France.

Nous allons maintenant nous déplacer au Sénat : il abrite la petite soeur de la Savoyarde. Fondue en 2010 dans les jardins du Palais du Luxembourg, cette miniature commémore le 150ème anniversaire du rattachement de la Savoie à la France. C’est la réplique au 1/6ème de la plus grosse cloche de France (diamètre de 50cm, 6 fois plus petite). Les inscriptions ont néanmoins été actualisées et tous les décors n’ont malheureusement pas pu être reproduits, car l’original, comme vous avez pu le constater, est richement décoré. Cette petite cloche pèse 150 kilos et sonne le Mi4.

La « petite soeur de la Savoyarde ».

Un grand merci à Monseigneur Jean Laverton, recteur de la basilique, Jacqueline Wormit (direction des affaires culturelles) et au service presse de la mairie de Paris. Des remerciements nourris au gardien de l’édifice pour nous avoir ouvert et accompagné. Mention spéciale à Mike « Quasimodo », Jérôme « Carillons Tarnais », Philippe « Senonais », Matthias, Denis-Pierre et Jean-Marie pour leur précieuse collaboration.
Mes remerciements également à M. Loïc Hervé, sénateur de la Haute-Savoie, pour la visite guidée du Palais du Luxembourg (Sénat) qui abrite la petite sœur de la Savoyarde.