Un air de village
Lorsque l’on déambule dans les rues de Thairy, on constate que sa quiétude n’est interrompue que le matin et le soir par l’impressionnante procession des travailleurs frontaliers. Nous sommes alors tout à fait en droit de se demander si nous sommes bel et bien dans l’une des trois sous-préfectures de Haute-Savoie. Car le village de Thairy possède de nombreuses infrastructures : son école, son cimetière, son monument aux morts et son église, symbole par excellence d’un village ! La mairie n’a plus de raison d’être car le 16 février 1965, Thairy fusionne avec Saint-Julien-en-Genevois à cause d’un problème d’approvisionnement en eau potable. Mais ce qui est devenu un « quartier » a en fait gardé l’âme d’un véritable village haut-savoyard, avec ses jolies fermes restaurées avec goût. Thairy est installée sur une butte offrant un panorama à 360°. Au sommet de celle-ci, outre l’église et les autres bâtiments publics, se trouve le « château », construit bien avant le XVIème siècle. C’est aujourd’hui une propriété privée.
Une bataille historique
Nous sommes le 1er mars 1814, 18’000 hommes ont rendez-vous pour la « bataille de Saint-Julien », moment clé des guerres napoléoniennes. 6’000 d’entre eux étaient français alors que 12’000 étaient autrichiens ! Cette bataille à lieu alors que l’empire napoléonien était en décadence depuis la défaite de l’empereur à Leipzig. Après avoir essuyés de nombreuses défaites, les troupes françaises dirigées par le général Dessaix lancent une grande offensive pour reprendre les Pays de Savoie. C’est à Thairy, dans les champs, qu’aura lieu cet épilogue. N’importe quelle personne rationnelle aurait déconseillé au général d’y aller en raison de l’infériorité numérique mais aussi logistique : mais que faire ! Le général Dessaix, né à Thonon, était ici « chez lui » et entendait bien repousser les autrichiens. En seulement quelques heures, grâce à des stratégies savantes et une connaissance parfaite des lieux, les autrichiens ont été repoussés en Suisse. Des combats à la baïonnette ont même eu lieu devant l’église. Relique de cet épisode qui coûta la vie à plus de mille soldats, un boulet de canon de cette bataille orne le sommet de la fontaine du village. Mais cette victoire fut hélas sans conséquence sur la suite des évènements : Napoléon abdiquera un mois plus tard et en 1815, Genève devient Suisse et la Savoie se sépare pour un temps de la France en rejoignant le royaume sarde jusqu’en 1860.
Une église en péril
En 2005, le maire de Saint-Julien-en-Genevois prend un arrêté interdisant l’accès du public dans l’église de Thairy. Le diagnostic est sans appel : la charpente est mal conçue, fait s’écarter les murs et fragilise donc la voûte. Des échafaudages surmontant des étais ont été installés dans la nef pour maintenir la voûte et éviter d’accentuer les dégâts. Seulement, il faut trouver plus d’un million d’euros pour redonner à l’édifice sa splendeur d’antan, une somme colossale difficile à trouver. Mais l’église de Thairy tient bon, défie le temps et est unique à bien des endroits. Sa dédicace est très rare : saint Brice, évêque de Tours, successeur direct de saint Martin aux IVème et Vème siècles. La paroisse de Thairy est citée en 1275 sur le baillage des seigneurs de Ternier. Le premier curé, quant à lui, est mentionné en 1412. L’église a été régulièrement vandalisée et pillée, notamment lors des guerres de religions opposant la Suisse protestante à la Savoie catholique, entre les XVIème et XVIIème siècles. Au début du XVIIème siècle, les propriétaires de la maison-forte de Thairy offrent une somme pour la reconstruction de l’église. En 1712, le clocher est réparé. Mais la visite de Mgr Biord quelques décennies plus tard fait mention d’une église en ruines et l’évêque demande aux paroissiens de la réparer, sinon de la reconstruire. En 1755, un contrat est passé entre la paroisse et Pierre Cheneval, architecte, pour la reconstruire. Mais ce dernier décède l’année suivante et c’est Francesco Garella qui prend la suite des travaux. Une pierre dans la nef nous indique que les travaux ont été achevés en 1772. Le clocher a été reconstruit en 1778 sur une base plus ancienne qui abrite aujourd’hui la sacristie. Ce dernier est décentré par rapport à la nef. Il est surmonté d’une élévation rappelant les bulbes baroques typiques de nos vallées, reconstruit en 1833. Nous espérons que cet édifice religieux aux nombreux secrets retrouvera une quelconque utilité dans un futur plus ou moins proche. C’est en tout cas le travail que mène la municipalité et l’association « le Thairoyr » qui souhaitent promouvoir le patrimoine de la ville et des hameaux de Saint-Julien-en-Genevois avec des travaux qui devraient être lancés une fois que l’argent aura été trouvé.
Une sonnerie homogène signée « G&F Paccard »
Nous sommes en 1899 : la gare de Saint-Julien-en-Genevois accueille un train en provenance d’Annecy. Sur celui-ci, trois nouvelles cloches pour l’église de Thairy. D’un poids d’environ 600, 300 et 180 kilos, elles égrènent un magnifique accord majeur de « sol ». Chaque cloche possède son nom, son parrain, sa marraine et sa propre maxime. Commençons, une fois n’est pas coutume, par la plus petite : Caroline-Louise-Jeanne. Cette cloche « appelle les bénédictions célestes sur la paroisse de Thairy » et, en latin, demande au Seigneur de libérer la paroisse « des tempêtes et de la foudre« . La cloche médiane, Françoise-Octavie-Joséphine, rend louange au Sacré Cœur de Jésus, à Marie Immaculée et à saint Brice. Cette cloche est volontiers plus bavarde que les autres car elle indique « célébrer le zèle de [ses] bienfaiteurs » en citant les noms des plus généreux d’entre eux (on retrouve d’ailleurs le nom du curé Premat et du maire de l’époque). La plus grosse cloche, Alphonsine-Marie-Anna fait mention d’une « refonte » grâce à la commune. C’est d’ailleurs la seule des trois qui porte ce mot précis et son parrain n’est autre que le maire, M. Alphonse Dethurens. Elle porte également les « Laudes Regiae » carolingiennes « Christus Vincit, Christus Regnat, Christus Imperat, Christus ab omni malo nos defendat » (Le Christ vainc, le Christ règne, le Christ gouverne, le Christ nous protège de tout mal) suivies de deux dates : 1637 et 1899. Si la seconde date correspond bien à la date de la nouvelle cloche, la première date a souvent été interprétée de plusieurs manières, comme par exemple la reconstruction du clocher ou la fonte d’une cloche disparue. Pour en avoir le cœur net, il nous faut emprunter la célèbre DeLorean du film « Retour vers le futur » et revenir au XVIIème siècle. Ne l’ayant pas, je me suis contenté des archives car en 1888, un historien m’a précédé dans ce clocher : Auguste Cahorn. Il s’est attelé à recenser toutes les cloches du canton de Genève puis a entamé, sans pouvoir l’achever, l’ancien diocèse de Genève. Et à l’époque, le clocher ne comptait qu’une seule cloche… fondue en 1637 ! Signée Christophe Aubry, fondeur lorrain établi à Annecy, la cloche avait pour inscriptions les Laudes Regiae citées sur la grosse cloche actuelle et le nom du curé, Jean-François Roc… (la fin du prénom semblait illisible) mais aucun curé avec un nom correspondant n’est attesté à Thairy. Comment expliquer cela ? Il semblerait en effet que cette cloche ne provienne pas de Thairy même. Nous y reviendrons. Les archives nous relatent un autre évènement : le 30 décembre 1710, un dénommé « Emery » de Genève (sûrement Martin) réalise pour la paroisse une nouvelle cloche. On apprend à la Révolution que Thairy ne possède qu’une cloche et qu’elle est réquisitionnée, comme beaucoup d’autres. Elle sera emmenée à Carouge. On apprend aussi que son poids était de 10 quintaux (environ 550 kilos). La cloche de 1637 présente au clocher jusqu’en 1899 était bien plus légère car son poids avoisinait les 400 kilos. La refonte semblait déjà se profiler à l’époque car l’inventaire d’A. Cahorn précise qu’elle est « fortement usée ». Comme expliqué plus haut, il y a fort à parier que cette cloche fut récupérée au concordat par la paroisse. Aujourd’hui encore, sa destination initiale n’est pas connue : aucun curé « Jean François Roc… » n’est attesté dans les dictionnaires du clergé d’Annecy.
N° |
Nom |
Diamètre (cm) |
Masse (kg) |
Note |
1 |
Alphonsine Marie Anna |
100,5 |
~600 |
Sol 3 |
2 |
Françoise Octavie Joséphine |
79,6 |
~300 |
Si 3 |
3 |
Caroline Louise Jeanne |
66,7 |
~180 |
Ré 4 |
Georges & Francisque Paccard fondeurs à Annecy-le-Vieux 1899 |
Je remercie d’une manière nourrie :
La municipalité de Saint-Julien-en-Genevois et Mme Véronique Lecauchois, maire, pour l’autorisation exceptionnelle de pénétrer dans l’église et son clocher.
M. Claude Mégevand, président de la Salévienne, pour l’organisation de cette belle visite.
Mme Bénédicte Daudin, président de l’association « le Thairoyr » pour la mise à disposition d’informations historiques.
Sources & Liens :
« Thairy, un village qui préserve son âme », le Dauphiné Libéré (consulté le 1/6/22)
La Salévienne
« Eglise Saint-Brice de Thairy », collection Les Jeudis du Patrimoine, Mémoire et patrimoine de Saint-Julien
Visite au clocher de M. Auguste Cahorn le 24 juin 1888, conservé aux archives diocésaines d’Annecy.
Association « Le Thairoyr » et sa présidente, Mme Bénédicte Daudin
Relevés et clichés personnels
Fonds privés
Fantastique son, dommage qu’il se soit tu.