Sur les contreforts du Mont Salève, célèbre montagne dominant Genève, Vovray-en-Bornes est un village d’environ 500 habitants qui est pourtant tourné vers Annecy et son lac. Essentiellement rurale, cette commune a les pieds dans les Usses, rivière qui prend sa source non loin de là. De nombreux pâturages et des forêts permettent aux métiers agricoles de perdurer. Mais la commune a surtout abrité pendant des décennies sinon des siècles plusieurs carrières de silice qui alimentaient jadis les grandes verreries françaises, italiennes et helvétiques. Le chef-lieu offre un panorama d’exception allant des montagnes du Chablais jusqu’au Bauges en passant par les Aravis et les Bornes, sans oublier la plus majestueuses de nos montagnes : le Mont-Blanc.
L’église Saint-Christophe de Vovray-en-Bornes fait face à l’actuelle mairie. La flèche de son clocher semble se dresser là depuis l’éternité. Mais pourtant, c’est loin d’être le cas ! On apprend tout d’abord qu’en 1411, la paroisse dépend de sa voisine de Cruseilles. Une nouvelle église est consacrée en 1516 par Mgr Pierre Farfeni, évêque titulaire de Beyrouth et administrateur du diocèse de Genève. En 1607 saint François de Sales alors évêque de Genève visitera à son tour la paroisse et ne pourra que constater une pauvreté évidente dans la communauté. Au cours du XVIIIème siècle, de nombreuses réparations ont lieu dans l’édifice parmi un nouveau retable et clocher reconstruit après une tempête. A la Révolution, l’église est utilisée comme caserne par les révolutionnaires. Au Concordat, on ne pourra que constater que cette période a laissé des plaies indélébiles à l’édifice religieux. A la mort du curé Orsier en 1836, la commune et le conseil de fabrique reçoivent un leg en héritage pour reconstruire l’église qui était dangereuses depuis des années et animait les conversations locales. Mais la somme était si dérisoire qu’aucun entrepreneur n’a répondu à un appel d’offre, pensant avoir à faire à une mauvaise blague. Ce n’est qu’en 1838 que Jean-Marie Brand prend les choses en main et reconstruit l’église avec le peu d’argent à disposition. On lui ajoutera même deux chapelles latérales pour lui donner sa forme actuelle : une croix latine. En 1845, le clocher sera reconstruit à son tour. Mais il n’avait pas la forme que nous lui connaissons aujourd’hui : il sera réhaussé d’un étage en 1950, probablement pour lui donner encore plus d’allure. Dans l’ère du concile Vatican II, l’église sera profondément remaniée dans les années 1960. L’église aux accents baroques laissera alors sa place à un édifice plus « montagnard », même si l’on peut concéder qu’une telle restauration serait impensable aujourd’hui.
Au début du XIXe siècle, la sonnerie de Vovray était constituée par plusieurs cloches, probablement trois. Si nous n’avons aucune informations sur celles-ci, une donnée s’est néanmoins glissée dans une lettre du curé Chaffard à destination de son évêque, Mgr Rendu. Ce dernier a demandé à l’ensemble de son clergé de lui faire part des us et coutumes des paroisses de son diocèse. Le curé de Vovray lui a alors répondu que « les préjugés consiste à croire que si l’on arrive pour sonner la petite cloche, avant que le nuage menaçant soit sur la paroisse, on parvient à détourner la tempête, quoique l’expérience leur prouve souvent le contraire. » Cette tradition semblait être commune à tout le plateau car un village voisin, Villy-le-Bouveret, utilisait aussi sa plus petite cloche à cet effet il y a quelques années encore. Mais revenons à Vovray. Lors de sa session de printemps, le conseil communal doit statuer sur la refonte de la grosse cloche. Le conseil délégué a passé une convention avec Claude Paccard pour la fonte d’une cloche de 750 kilos mais cette dernière à peine signée a été invalidée par l’intendant général du genevois. Il jugeait le conseil délégué incompétent et précisait que les frères Beauquis ont proposé une offre moins chère. Une solution est proposée par l’intendant : un appel d’offres. Le conseil communal obéit donc à son intendant et soumet la fonte de la cloche aux enchères au prix proposé par les frères Beauquis. Lors de clôture des dossiers, seuls ces derniers se sont positionnés. Mais voilà que le marché attribué, ils refusent d’exécuter la fonte de la cloche à ce prix sans une compensation financière ! La commune, très contrariée, donne donc pouvoir au syndic de passer une nouvelle convention avec Paccard. Cette dernière va entraîner de multiples échanges entre le conseil et l’intendance car elle déplore que la commune ne parle pas des offres plus intéressantes proposées par les frères Beauquis entre temps. Après maintes discussions, il s’est en fait avéré qu’il n’y avait jamais eu de telles offres. Pour la commune, le choix est simple : ils ont d’un côté un fondeur expérimenté et dont la réputation n’est plus à faire et de l’autre un fondeur qui apprend encore le métier, qui a déjà dû refaire plusieurs cloches et dont les méthodes leurs sont perçues comme malhonnêtes. Le 24 octobre 1854 est donc livrée par Paccard une cloche de 841 pesée à Annecy. Là aussi, la réception fit débat : pour l’intendant général, la réception n’est pas juste une vérification du poids, de la forme et de la sonorité de la cloche mais devait être faite par un homme de l’art avec la rédaction d’un rapport de réception. Seulement 18 mois après la livraison de la grosse cloche, la petite fêle à son tour. Les discussions seront nettement plus rapides : la commune souhaite directement passer une convention avec les Paccard en leur revendant le métal de l’ancienne cloche. Ils souhaitent aussi augmenter sa taille pour qu’elle soit en harmonie avec la plus grosse et cela engendre un coût supplémentaire même si les finances de la commune sont jugées saines. Le 21 octobre 1856, la cloche est réceptionnée et pesée : 538 kilos. Amenée à Vovray, elle sera « baptisée » le 29 octobre suivant en grande pompe en étant consacrée à l’Immaculée Conception avant d’être hissée au clocher. Deux ans plus tard, des nouvelles turpitudes campanaires sont annoncées : la troisième cloche était fêlée, soit trois fêlures en quatre ans ! Tout en achevant de payer la fonderie Paccard pour les deux grosses cloches, il faut penser à sa refonte. Ce sera chose faite entre 1860 et 1861 pour la fourniture d’une cloche d’environ 300 kilos. Mais cette fois, c’est la fonderie Beauquis qui effectuera le travail. Pourquoi un changement de fondeur après les péripéties des années précédentes ? Les archives ne le justifient en rien… Comme relaté plus haut, le clocher a été réhaussé en 1950. Sans rien toucher aux grosses cloches, on en profite pour refondre la troisième cloche et pour l’installer au dernier étage. Répondant au nom de « Marie Françoise » elle rend aussi hommage à la Vierge Marie mais cette fois-ci à son assomption. Elle commémore aussi le plus illustre des évêques de la paroisse, saint François de Sales. Né à quelques kilomètres de là, il a, comme tout bon évêque, visité la paroisse lors de son épiscopat. C’est cette année là que les cloches seront électrifiés et que des horloges sont ajoutées au clocher. Avec leur tonalité accordées, elles peuvent joyeusement carillonner les joies et les peines de la communauté.
N° |
Nom | Fondeur | Année | Diamètre (cm) | Masse (kg) | Note |
1 | Vierge Marie | Frères Paccard | 1854 | 109,7 | 841 |
Fa♯3 |
2 |
Immaculée Conception | Frères Paccard | 1856 | 97 | 538 | Sol♯3 |
3 | Marie Françoise | Fonderie Paccard | 1950 | 84,5 | ~350 |
La♯3 |
Je remercie chaleureusement :
M. Xavier Brand, maire de Vovray-en-Bornes, pour son aimable autorisation.
Mme Odile Montant, conseillère municipale et en charge de l’église, pour son accueil, sa disponibilité et les sonneries spéciales.
La Salévienne, section des Bornes, et plus particulièrement Nathalie Debize, pour la fourniture d’archives historiques.
Sources & Liens :
Mairie de Vovray-en-Bornes
La Salévienne, section des Bornes
Vovray-en-Bornes
Fonds privés
Clichés personnels (sauf indication contraire)
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