C’est quasiment au cœur de la Savoie que ce périple m’a emmené. A mi chemin entre l’Italie et le reste de la France, de la Suisse et des Hautes-Alpes, se trouve la commune de Marthod. Son village se situe de part et d’autres de l’Arly, qui rejoindra dans quelques kilomètres la rivière Isère au sud d’Albertville, carrefour de la Savoie. Cette commune est délimitée à la fois par des cours d’eau (ruisseau du Creux, au sud) mais aussi par des massifs montagneux et des forêts. Son village s’organise sur le versant ouest de la vallée, légèrement décalé au sud, offrant tout de même un bel ensoleillement. La majeure partie des hameaux de la commune se trouvent sur la rive droite de l’Arly, car la situation naturelle donne comme un amphithéâtre, dominés par les alpages de l’Alpettaz, eux-mêmes dominés par la Dent de Cons, culminant à 2’064 mètres. Deux chapelles sont installés dans deux des nombreux hameaux de la commune : le Villard pour la première et au Sautplat pour la seconde. L’église occupe bien entendu une place de choix, sur un replat, légèrement en hauteur de la vallée.
Cet édifice est dédié à la Nativité de saint Jean-Baptiste, fêté le 24 juin. Cette fête marquant la naissance de Jean, celui qui a baptisé Jésus dans le fleuve Jourdain, prouve l’ancienneté de la paroisse. En 1170, saint Pierre II de Tarentaise, archevêque du lieu, attribue la paroisse aux chanoines et en 1257 un acte fait état de chanoines réguliers de Saint-Augustin. En 1367, on parlera du « cloître de Marthod ». Le prieur deviendra par la suite un prieur commendataire et donc ne réside plus au Prieuré, mais il en perçoit tout de même les revenus. Il nomme alors un « vicaire perpétuel » pour le représenter ainsi qu’un second chanoine. Dès lors, l’archevêque fixe des revenus pour eux deux, entraînant des tensions entre le Chapitre cathédral, le « Chapitre local » de chanoines et la paroisse. Pour bien marquer la dépendance de Marthod à sa cathédrale de Moutiers, le vicaire perpétuel était tenu de recevoir dignement deux chanoines de la cathédrale « de manière digne », chaque 24 juin. Après ces anecdotes, revenons à l’histoire… De la première église, il ne reste presque rien, si ce n’est quelques mentions discrètes et un portail ! En effet, le portail roman de l’église actuel a été conservé de l’ancienne église, rasée au XVIIIe siècle pour construire la nouvelle. L’architecte s’est vu imposer de le conserver et de tourner l’église d’un quart de tour, pour que le chœur actuel ne se situe plus à l’Orient mais au nord. Il était dit de l’ancienne église qu’elle était trop petite et forte irrégulière. Terminée en 1772, elle est consacrée deux ans plus tard, le 14 juin 1774. Le maître-autel a été exécuté en 1782, mais il n’en reste rien, puisque la Révolution n’épargnera pas la région quelques années après. A peine consacré, voilà le lieu de culte déjà restauré entre 1817 et 1818 avec la conception de nouveaux maître-autels et une décoration soignée de la voûte.
La sacristie, qui constitue le premier niveau du clocher, comprend une date intéressante : 1596. Cela atteste l’ancienneté de ses fondations ! Pourtant, le clocher ne sera livré qu’en 1819. Pourquoi ? Car lors de la Révolution Française, le clocher n’était pas terminé. Il n’a donc pas été touché. En revanche, des anciennes cloches de l’église, nous n’avons aujourd’hui plus rien, si ce n’est quelques bribes d’histoire. Il est relaté qu’en 1707, Jean Arnaud, fondeur de cloches établi à Saint-Jean-de-Maurienne, est mandaté pour refondre la grosse cloche, cassée, et pour en réaliser une autre. Mais rien ne nous dit comment elles étaient accompagnés, et quel est leur sort final…
Mais la sonnerie actuelle n’est pas en reste. Les cloches ont été fondues après la livraison du clocher : entre 1822 et 1825. Elles portent toutes trois la signature de « Louis Gautier ». Si nous croisons régulièrement ce fondeur de cloches, il est plutôt rare de pouvoir admirer une sonnerie complète avec une cloche de presque deux tonnes ! De ce fondeur c’est probablement la plus grosse cloche. Alors qu’il me soit permis de raconter son histoire : Jean-Louis Gautier, dit Louis, naît en 1788 de Jean-François Gautier (1758-1830), lui même fondeur. La production de Louis semble commencer en 1807 alors qu’il co-signe avec son père une cloche pour la cathédrale de Gap. Par la suite, il a certainement quitté sa vallée natale de Briançon pour s’installer en Savoie. Il semble avoir réalisé deux grandes étapes : à Martigny (Suisse actuelle mais française, comme la Savoie à l’époque) au début des années 1810 avant de s’installer à Conflans, de manière plus durable. C’est dans cette cité qu’il épousa Antoinette Bompard et qu’il eut 4 enfants. Bon nombre de ses cloches font en effet mention de Conflans ou de l’Hopîtal, ancien nom d’Albertville avant la fusion de ces deux bourgs longtemps rivaux. Sa production fut florissante car dans une période où les clochers se devaient de retrouver leurs sonneries d’antan, à cause d’une Révolution meurtrière. Il semble qu’une partie de sa production, en dent de scie, n’existe plus que dans les archives. Cependant il laisse une trace non négligeable de son travail pour l’arc alpin. Louis est mort subitement le 14 juillet 1831, à 42 ans, sans avoir pu honorer tous ses contrats de fonte. Les archives de sa famille indiquent que sa veuve prend le relais avec l’un de ses fils et la famille Vallier, longtemps associés à la famille Gautier. En Savoie, l’aventure prend fin une fois les derniers contrats honorés. Mais elle continuera encore quelques décennies dans les Hautes-Alpes, avec, par exemple, son demi-frère Vincent. Il a entre autres réalisé la sonnerie de la collégiale de Briançon dans les années 1860…
Doyenne de la sonnerie, la seconde cloche de Marthod porte la date de 1822 et une inscription latine invoquant à la cloche un pouvoir divin : éloigner les tempêtes et protéger Marthod de la foudre. S’en suit son parrain, Michel Boëx et sa marraine, Marie Pignard. Sa signature indique qu’elle a été réalisée à Marthod. Les deux autres cloches, fondues à Albertville (ex Hôpital), datent de 1825. La grande cloche a pour parrain le curé François Rey et pour marraine Joachine Pépin, née Ferrier. Une autre inscription figure sur celle-ci, mais des défauts de coulée empêchent de la lire. La plus petite cloche a pour parrain le Rd Lavorel et pour marraine Philiberte Françoise Pépin née Chaffarod. Elles citent encore le syndic (maire) : M. Dunand Henry, et son adjoint M. Avriller. Les musiciens les plus avertis noteront également une ligne nominale quelque peu faussée : do#, sol et la. Il est vrai que Louis Gautier n’a pas livrée la sonnerie la plus mélodieuse de sa carrière, mais rien n’empêche de trouver un caractère à la fois rustique et baroque à cette belle sonnerie, avec certainement la plus grande pièce de sa courte carrière !
N° |
Fondeur | Année | Diamètre (cm) |
Masse (kg) |
Note |
1 |
Louis Gautier | 1825 | 141,7 | 1700 | Do♯3 |
2 | Louis Gautier | 1822 | 102 | 620 |
Sol3 |
3 | Louis Gautier | 1825 | 88,7 | 400 |
La3 |
Mes remerciements à M. Frank Roubeau, maire, et à sa première adjointe, Mme Virginie Vernaz pour les autorisations. Je remercie également M. Jean-Louis Tétaz, sacristain, pour sa disponibilité. Il me convient également de remercier mon ami Pierre Dubourgeat, conseiller municipal de Montailleur pour la bonne organisation et Claude-Michael Mevs, dit « Quasimodo » pour sa précieuse et amicale collaboration !
Sources & Liens :
Marthod
Mairie de Marthod
« Les fondeurs de cloches Briançonnais », Jean Vallier, éditions du Fournel, 2007
Jean Vallier, descendant de la famille Vallier
« Histoires des Commues de la Savoie« , archives du département
Fonds privés
Dr Matthias Walter, expert-campanologue à Berne (CH-BE)
Clichés personnels