Saint-Jean-de-Maurienne – Cathédrale Saint-Jean-Baptiste

La Maurienne correspond à l’une des six provinces dites « historiques » de la Savoie. Vallée de 125 kilomètres de long, creusée par la rivière Arc qui, de Bonneval-sur-Arc, rejoint la rivière Isère dans la Combe de Savoie. C’est un véritable trait d’union entre la France et l’Italie grâce au tunnel du Fréjus, permettant de rejoindre assez rapidement la ville de Turin. Outre cet ouvrage construit pour faciliter le passage, le col du Mont-Cenis est le franchissement naturel de la frontière entre les deux pays. Lorsque Turin était la capitale des Etats de Savoie, la Maurienne devenait donc un axe très stratégique. Si je m’attarde sur la Maurienne et non Saint-Jean-de-Maurienne, c’est parce que l’histoire de la vallée, c’est aussi en quelque sorte l’histoire de la cité. Cette vallée est un évêché à lui tout seul depuis des temps anciens avec son siège à saint Jean ! Saint-Jean-de-Maurienne est aujourd’hui une ville de 7’500 habitants, l’une des sous-préfectures de la Savoie (73). Installée au bord de la rivière dont elle en a parfois subi les colères, elle accueille aujourd’hui de nombreuses industries qui y prospèrent, et plus largement toute la vallée a subi le même sort. 

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Nous retrouvons les origines du diocèse de Maurienne aux prémices de la chrétienté. Il est alors raconté que sainte Thècle, vénérée par exemple à Valloire, aurait rapportée sur place des reliques de saint Jean-Baptiste : ses « doigts qui ont touché le Seigneur dans le Jourdain ». A cette même période, la vallée qui était sous la juridiction de l’évêque de Turin devient un propre diocèse, malgré l’opposition marquée par le pape Grégoire 1er. Fort de ses reliques, le petit diocèse prit rapidement une certaine ampleur, si bien que l’évêque possédait même un pouvoir temporel dans son diocèse ! Toutefois, cette influence fut atténuée lors des grands siècles de la Maison de Savoie qui, par la force, a réussi à prendre possession de cette vallée hautement stratégique pour eux, entre Chambéry et Turin. A la Révolution, le diocèse est supprimé au profit d’un évêché dit de « Chambéry et Genève » avec un seul évêque pour les deux actuels départements savoyards. Il fallut attendre les années 1820 pour que ce grand diocèse soit démembré par étape : Annecy en 1822 puis la Maurienne et la Tarentaise en 1825. L’évêché de Chambéry était quant à lui devenu archiépiscopal en 1817, lui donnant une préséance sur les autres diocèses savoyards. En 1966, le pape lie les trois diocèses de l’actuel département savoyard « aequer principaliter », rendant cette situation unique en France : l’archevêque de Chambéry est aussi coiffé des titres d’évêque de Maurienne et d’évêque de Tarentaise. Chaque diocèse a son propre clergé et ses propres instances même s’ils fonctionnent le plus collégialement possible. La cathédrale de Saint-Jean-de-Maurienne n’est donc pas une cathédrale à titre honorifique ni une co-cathédrale mais demeure pleinement le siège de l’évêque de Maurienne.

Qui dit diocèse dit cathédrale, siège de celui-ci. Les premiers siècles de son existence sont malheureusement imprécis, en raison des nombreuses incursions qu’on subi la région durant les premiers siècles de la chrétienté. Ce n’est qu’à l’aube du deuxième millénaire après Jésus Christ qu’on peut commencer à établir une chronologie précise de l’édifice. A la naissance de la maison de Savoie, la reconstruction de la cathédrale est liée à Humbert aux Blanches Mains dont le cénotaphe est visible dans le péristyle du monument. Des écrits laissent entendre qu’à la même époque (au XIème siècle) la cathédrale et l’église Notre-Dame sont restaurées ou reconstruites entre 1040 et 1070. Nous pouvons en tout cas attester que la charpente de l’église date de 1075/1076, faisant de celle-ci l’une des plus veilles de France. La cathédrale romane se présentait par une église de type basilicale, c’est à dire trois nefs. Les deux latérales se terminaient chacune par une chapelle dédiée à saint Pierre pour l’une et sainte Thècle pour l’autre. Pendant l’hiver 1439/1440, une crue du Bonrieu dévaste saint Jean et n’épargne pas la cathédrale qui doit être reconstruite. La rivière sera endiguée pour éviter une seconde catastrophe. La seconde moitié du XVe siècle sera synonyme de nombreux changements dans l’édifice : un cloître, des voûtes, un nouveau chœur et des stalles gothiques seront édifiés et installés sous l’impulsion des différents évêques en poste. Ces éléments nous sont parvenus et font encore la fierté de l’édifice religieux. Des chapelles ont été adjointes à l’édifice entre le XVIe et le XVIIe siècle. Au XVIIIe siècle, une nouvelle sacristie est bâtie à l’emplacement de la chapelle Saint-Pierre et un porche est commandé par le roi Charles-Emmanuel III de Savoie. Le XIXe siècle apportera ensuite ses modifications à la cathédrale : l’église Notre-Dame ayant été endommagée par la chute du clocher à la Révolution et l’église Saint-Christophe ayant brûlée à la même période, la cathédrale devient la seule église paroissiale de la ville. Pour l’agrandir, le jubé est démonté et les stalles déplacées. Des nouveaux vitraux sont aussi commandés. Le XXe siècle permet de redécouvrir la crypte de la cathédrale, abritant des éléments allant du VIIe au XIVe siècles. Elle a été comblée au siècle suivant mais elle fut déblayée et son accès rétabli. 

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Le grand clocher de Saint-Jean-de-Maurienne impose par sa silhouette et ses grandes dimensions. Il faut s’avoir qu’en réalité, il s’agissait d’abord du clocher de l’église Notre-Dame, voisine de la cathédrale. Cette énorme tour était ornée d’une flèche entre le XVe siècle et la Révolution, faisant de lui une tour de près de 80 mètres ! Lorsqu’elle fut rasée, cette flèche tomba sur l’église et endommagea la nef. L’édifice religieux fut donc raboté et la rue qui les sépare fut donc créée. Ce clocher a abrité, au cours de son âge d’or, une sonnerie de plus de 10 cloches ! Le 10 mai 1326, la Confrérie du Saint-Esprit demande aux chanoines l’usage d’une cloche pour annoncer leurs assemblées. Cette demande leur a été accordée. Les archives du chapitre de Verceil (Italie) abritent un document qui intéresse l’histoire campanaire de Saint-Jean-de-Maurienne : en 1475, Amédée Gavit, vicaire du cardinal d’Estouteville alors évêque de Maurienne, charge Claude Milon de Genève et Claude Vionnet de Sallanches (Faucigny) de fondre des nouvelles cloches pour la cathédrale. Malheureusement, pas assez d’éléments nous permettent de bien apprécier les travaux qui s’y sont passés. Un autre écrit retrouvé dans les archives paroissiales de Saint-Pancrace donne avec précision la fonte de nouvelles cloches durant l’été 1667. Le chanoine Nicolas Féjoz raconte ce qui suit :
• Le 23 juillet a été descendue la grosse cloche, et le 26 juillet la seconde cloche. Les deux ont été refondues le 30 juillet : la grosse cloche sous le vocable de tous les Saints et la seconde en l’honneur de Saint-Jean-Baptiste.
• Le 3 août, un prix fait a été passé pour refondre la quatrième et la cinquième cloche.
• Le 8 août, l’évêque a béni les deux grosses cloches et une autre cloche, aussi dédiée à tous les Saints. Nous ne savons pas quel rang cette dernière occupait dans la sonnerie…
• Le 7 septembre, l’évêque a béni quatre nouvelles cloches : la quatrième, la cinquième, la sixième et la neuvième cloche dans l’ordre de la pesanteur.
En 1712, le chanoine Cueillerat paye 200 florins à Georges Arnaud, fondeur de Saint-Jean-de-Maurienne pour la fonte d’une cloche pour l’église Notre-Dame.
Les prochains écrits datent ensuite de la période révolutionnaire : les cloches ont été descendues les 12 et 13 décembre 1793. Lors de cette opération, la troisième cloche dite « la None » sans doute parce qu’elle était particulièrement utilisée par le chapitre pour cet office, a été brisée . Le 21 décembre, il est décrété que les quatre plus grosses cloches seront pesées à Chambéry car elles ne peuvent l’être à Saint-Jean-de-Maurienne1. Le lendemain, le procureur syndic d’Arc indique au procureur général syndic de l’envoi de 24 cloches à Chambéry dont : 9 cloches du Chapitre, 4 de Saint-Christophe, 2 des Bernardines, 1 des Capucins, 1 des Pénitents, 1 de Saint-Antoine, 1 de la Miséricorde, 1 de Bonne-Nouvelle, 1 de Notre-Dame et 1 du Collège.
Ce qui ferait au total, 10 cloches pour la tour du Grand Clocher de la Cathédrale et de Notre-Dame. Plusieurs écrits indiquaient que la sonnerie de la cathédrale se composait de 11 cloches. Avec l’obligation de laisser une cloche par clocher pour sonner tocsins et assemblées civiles , le recoupement d’information donne donc une certaine logique. Des archives privées donnent une variante aux informations ci-dessus dans un écrit de l’abbé Guiguet, vicaire à la cathédrale entre 1853 et 1858. Il raconte « de témoins contemporains et oculaires » que la sonnerie de la cathédrale était composée, au 2 décembre 1793 « de neuf cloches ; trois formaient, comme aujourd’hui, la sonnerie de l’horloge, mais elles étaient disposées de manière à servir en même temps pour le carillon. Elles furent conservées, ainsi que l’horloge ». Au Concordat, les trois cloches de l’horloge et son mouvement semblent donc avoir été réinstallées, ce qui veut dire qu’elles n’ont pas été envoyées à Chambéry en 1793.
Au XIXème siècle, la sonnerie cultuelle de la cathédrale est donc partiellement reconstituée. En 1812, une cloche dite « des Pénitents » est fondue à Briançon, probablement par les dynasties Vallier et Gautier, fondeurs en activité dans cette ville et qui ont par ailleurs largement contribué à la repopulation des clochers savoyards à cette période. En 1828, la grosse cloche se fend et une nouvelle est aussitôt commandée par le Chapitre. Cette cloche a coûté 1994,6 livres à raison de 36 livres le quintal, poids de Saint-Jean-de-Maurienne, somme fixée le 17 septembre 1828. Le règlement a été effectué aux fondeurs Jean-François Gautier et François Vallier le 14 septembre 1829 après une garantie d’un an de la cloche. Les années 1864 et 1865 verront l’arrivée de deux cloches au clocher : d’abord la troisième par les frères Beauquis puis la seconde par les frères Paccard. Aucune archive n’a été retrouvée pour aider à contextualiser ces achats. De nombreuses questions restent ouvertes, notamment celle d’une refonte ou d’un ajout mais aussi de la réalisation de ces deux cloches (à un an d’intervalle !) par ces deux fondeurs en concurrence ! A la fin de l’année 1873, la petite cloche des Pénitents se fêle. Une nouvelle cloche est commandée aux frères Paccard. Un devis est soumis au chapitre avec la reprise de l’ancienne cloche, pesée 174 kilos. Une nouvelle cloche de 228 kilos sera donc installée en lieu et place. En 1935, les cloches de volée du Grand Clocher ont été électrifiées. On a d’abord commencé par les trois grosses, considérant que « la petite cloche ne se prête pas à cette transformation ». La commune prend à sa charge l’enterrement des fils électriques entre la sacristie et le Grand Clocher et le diocèse finance l’électrification proprement dite. C’est probablement à ce moment-là qu’est rendue muette la « Cloche du Chapitre » installée dans le fin clocher attenant à la cathédrale. Son accès est malheureusement impossible aujourd’hui, mais sa réhabilitation est à l’étude. On espère pouvoir l’atteindre un jour pour percer à jour ses secrets et lui redonner un usage liturgique ! Si le chapitre de la cathédrale est aujourd’hui en sommeil, de nouvelles pratiques apparaissent dans la cathédrale. Une « garde d’honneur » s’est formée autour des reliques que la cathédrale abrite. Elle propose notamment des vénérations publiques ou privées et participe aux grandes heures liturgique de la cathédrale, église mère du diocèse.

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Si je n’ai que très peu abordé les cloches de volée de la cathédrale, c’est qu’un second ensemble campanaire mérite le détour. Car oui, ce clocher abrite encore trois cloches pour l’usage strictement civil ! Il s’avère que la plus récente d’entre elles date de 1745 ! Et la plus ancienne n’est malheureusement pas datée mais compte parmi les plus anciennes cloches du département. La cloche des heures porte la date de 1451. Son fondeur n’est pas identifié mais elle ne porte que pour inscriptions le début de l’Ave Maria et la date en chiffres romains. Les deux plus petites cloches sonnent les quarts. La première, de taille médiane, est signée est datée : Barthélémy Arnaud, 1745. Ce fondeur était établi dans cette ville qui a connu pendant près d’un siècle (d’environ 1650 à 1750) une dynastie : la famille Arnaud, originaire de Termignon (Maurienne).  Elle ne possède aucune autre inscription mais quelques effigies, notamment quelques angelots, un Christ et une Vierge. La plus petite cloche est la plus mystérieuse : elle porte une inscription gotique traduite « cloche des messes à dire à l’église Saint-Jean-Baptiste de Maurienne ». Non signée et non datée, cette cloche est l’objet de toutes les spéculations. En effet, des cloches similaires existent (mais se comptent sur les doigts d’une main) en Pays de Savoie et sont généralement datées du XIVe siècle, voire début du XVe siècle au plus tard avant de laisser la place aux cloches gothiques (cette fois avec un h). Un cloche non loin, située au Châtel, présente les mêmes caractéristiques. Autrefois datée de l’an mille (d’où lui vient son surnom) elle est en fait du XIVe siècle et possède de nombreux points commun avec la cloche de Saint-Jean. De plus, ses inscriptions montrent un fonctionnement particulier : « cloche des messes à dire » sa petite taille peut laisser entendre que les chanoines l’utilisaient pour annoncer le début d’une messe célébrée ici où là dans la cathédrale, ou pour convoquer le chapitre à un office. Toujours est-il que cet ensemble campanaire parallèle -aujourd’hui strictement civil- est de haut vol : trois cloches prérévolutionnaires qui, à ce jour, ne bénéficie d’aucune inscription aux monuments historiques ! Il est presque évident que sa survie est dû à son usage profane : sonner les heures et autrefois convoquer les assemblées ou encore pour sonner le tocsin. 

Nom

Fondeur

Année

Diamètre (cm)

Masse (kg)

Note

1

« le Bourdon »

Vallier & Gautier

1828

137,2

~1’650

Ré ♯ 3

2

Sainte Marie et Saint Joseph

Frères Paccard

1865

110,1

~800

Fa ♯ 3

3

Sacré Cœur de Jésus

Beauquis frères

1864

86,5

~380

La ♯ 3

4

« Cloche des Pénitents »

Frères Paccard

1874

71,2

228

Do 4

I

« Cloche des heures »

inconnu

1451

86,5

~450

La 3

II

Barthélémy Arnaud

1745

41,7

~45

La 4

III

inconnu

XIVe ou XVe siècle

30,3

~20

Sol 5

NB : La « cloche du Chapitre » ne figure pas dans cette liste. Située dans le clocher de la cathédrale, elle n’est pour l’heure pas accessible et aucune archive nous donne des indications sur ses dimensions, date et fondeur.

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Mes remerciements chaleureux et nourris à :
La municipalité de Saint-Jean-de-Maurienne, son maire Philippe Rollet et son adjointe Josiane Vigier pour l’accès exceptionnel au Grand Clocher, dont la commune est propriétaire.
Les diocèses de Savoie et plus particulièrement le diocèse de Maurienne, son chancelier Yvan Caporizzo, membre de la Garde d’Honneur des reliques de Saint-Jean, pour l’accompagnement dans la cathédrale et les recherches historiques autour des archives du chapitre et du diocèse.
La paroisse de Saint-Jean-de-Maurienne  et plus particulièrement l’abbé André Minh Tam Ngo, recteur de la cathédrale, pour l’autorisation des sonneries spéciales hors calendrier liturgique.
Mes amis Loris Rabier « Les Cloches Mauriennaises« , Claude-Michaël Mevs « Quasimodo Sonneur de cloches » et Victor Fraysse pour l’aide apportée à la réalisation de ce reportage.
Romeo Dell’Era, diplômé d’un Master ès Lettres en Sciences de l’Antiquité (Université de Lausanne) et membre de la Guilde des Carillonneurs et Campanologues Suisses, pour l’aide apportée autour de la cloche du XIVe siècle.

Sources & liens :
Mairie de Saint-Jean-de-Maurienne
Diocèses de Savoie
Archives du diocèse de Maurienne et du chapitre de la cathédrale
Société d’Histoire et d’Archéologie de la Maurienne
Mémoires de l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Savoie
Travaux de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Maurienne
Le Dauphiné Libéré

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