Un vallon… dans la Vallée !
La Dranse est une rivière qui possède de multiples sources dans la province du Chablais. Les locaux auront d’ailleurs du mal à lui donner une source officielle : à Bellevaux ? à Châtel ? à Morzine ? Ou encore à Montriond ? Quatre villages, qui ne sont pas forcément limitrophes. Quoi qu’il en soit, les « Dranses » ont creusé de multiples vallées qui méritent le détour. Au fil de l’eau, un patrimoine culturel a été bâti au gré des siècles, et ce malgré le caractère très fort de la rivière et de ses multiples affluents. Cette « pieuvre » se concentre en amont des plaines avant d’alimenter le lac Léman à Thonon-les-Bains. Il y a pourtant un village que je n’ai pas nommé : Seytroux. Celui-ci ne se situe pas sur le parcours d’une des Dranse, mais son vallon a été creusé par une rivière qui alimente la Dranse de Morzine : le Torrent de Seytroux. Ce dernier a creusé un vallon perpendiculaire, presque orienté vers le nord. Mais ses pentes douces côté amont donne un ensoleillement de qualité et le torrent, de dimensions modestes, reste moins dangereux que les cours d’eaux qu’il va rejoindre en aval. C’est sans doutes pour cela que jadis des personnes se sont installées là.
Un village tout jeune !
Il n’est pas rare que lorsque je vous énumère l’histoire d’un lieu, j’évoque une « possession » d’une abbaye ou d’un monastère. Ici encore, nous ne dérogerons pas à la règle, sauf que Seytroux n’est devenue paroisse qu’en 1801. Cependant, le nom de « Seitrou » est mentionné en 1233 lors d’une donation faite à l’Abbaye de Saint-Jean-d’Aulps, située sur l’autre versant de la « grande vallée » creusée par la Dranse de Morzine. Nous ne saurons dire si une chapelle existait déjà à Seytroux. Au Concordat, la paroisse obtient la permission d’élever une paroisse. Seytroux ne dépend alors ni de l’Abbaye d’Aulps, non relevée, ni de l’église du Biot. Le 11 novembre 1837, la commune de Seytroux est enfin née et ne relève plus de l’administration du Biot.
Une église à construire…
Il n’est nullement fait mention d’une chapelle à Seytroux avant la construction de l’église actuelle. Cependant une chapelle existe encore aujourd’hui au hameau de Saint-Martin. Sa position excentrée par rapport au village ne nous renseigne pas plus sur le passé. Quoi qu’il en soit, un premier curé est nommé en 1806 : l’abbé Louis Rhuin. En 1834, comme en témoigne la date sur le clocher, l’église est terminée. Elle est dédiée à saint Bernard de Menthon, saint local du XIème siècle, connu pour avoir fondé des hospices des cols du Petit et du Grand-Saint-Bernard. En 1886, le transept de l’église est ajouté. A l’intérieur, on remarque cette grande voûte tout en bois : celle-ci a remplacée la voûte primitive lors d’une restauration en 1950. Elle met très bien en valeur les retables qui, dit-on, proviennent de l’Abbaye d’Aulps, dont il ne reste que quelques ruines. Plus récemment, l’église a bénéficié d’une restauration : le toit et les peintures intérieures et l’électricité générale. En effet, un violent orage de grêle eut raison de la couverture a l’été 2013.
Une sonnerie inattendue !
Quelle ne fut pas ma surprise lors de ma première visite, de découvrir des fondeurs presque atypiques pour la région : Jean-Alexandre Perret ou Samuel Tréboux ! Ce sont en effet les noms figurant sur trois des quatre cloches de cette église. L’autre cloche, fondue en 1811, arbore la signature du fondeur carougeois Jean-Baptiste Pitton, familier dans notre région. Ces inscriptions font étonnamment état de la « commune de Seitroux » … qui n’existait même pas ! Outre son parrain et sa marraine, M. et Mme Jean Tavernier, plusieurs noms sont cités. Peut-être il s’agit des conseillers qui représentaient Seytroux au conseil du Biot ? Ou les conseillers paroissiaux ? On peut en tout cas voir avec cette cloche le désir d’indépendance totale que recherchait Seytroux. Les cloches 2 et 4 arborent la date de 1843 et la signature du veveysan Samuel Tréboux. Comment expliquer la présence rarissime de ce fondeur dans la région ? La réponse se trouve probablement sur la grande cloche. Datée de 1898, elle cite comme parrain « Louis Comte de Vevey ». Aux vues de la construction du beffroi, il y a fort à parier que la cloche soit une refonte d’une cloche plus ancienne. D’ailleurs, sa note se trouve bien trop basse par rapport aux trois petites cloches, plus anciennes. La cloche est en effet dans un profil plus léger que les autres : c’est à dire que sa note est légèrement plus grave proportionnellement à son envergure. La cloche est signée « Jean-Alexandre Perret ». Il s’agit d’ailleurs là de sa plus grosse cloche. En effet, ce dernier n’a jamais été à proprement parler un fondeur de cloches. Il reprit l’activité de Gustave Tréboux, petit neveu de Samuel. Lui aussi a d’ailleurs signé une cloche en territoire savoyard, à Cranves-Sales. Mais revenons à M. Perret : après deux ans d’exercice à Vevey, il transfère ses ateliers à Lausanne. A son décès, son fils ne souhaite pas continuer l’activité campanaire. En effet, son père n’a hélas pas su garantir l’excellente réputation acquise par ses prédécesseurs : des cloches se sont fêlées relativement rapidement et d’autres ont même été refusées par les paroisses car jugées de piètre qualité ! Ainsi se sont refermées les portes de trois siècles d’art campanaire sur les rives vaudoises du Lac Léman.
N° |
Nom | Fondeur | Année | Diamètre (cm) | Masse (kg) | Note |
1 |
Maria Ludovica | Jean-Alexandre Perret | 1898 | 131 | 1400 |
Do♯ 3 |
2 |
St Maurice | Samuel Tréboux | 1843 | 104 | 650 | Fa♯ 3 |
3 | — | Jean-Baptiste Pitton | 1811 | 88 | 350 |
La 3 |
4 | Ste Vierge | Samuel Tréboux | 1843 | 63 | 180 |
Ré 4 |
Mes remerciements à la municipalité de Seytroux, sous le mandat de M. Jean-Claude Morand et de son premier adjoint, M. Eric Dupont, pour les autorisations, l’ouverture de l’église de son clocher. Enfin, je remercie mon ami Claude-Michaël Mevs, dit « Quasimodo« , pour l’aide indispensable !
Sources & Liens :
Mairie de Seytroux
Seytroux
Eglise de Seytroux
« Près de 3 siècles d’industrie campanaire à Vevey« , quasimodosonneurdecloches.ch (consulté le 3 novembre 2019)
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