
C’est l’une des principales cités du Bas-Chablais. Je continue de vous emmener sur les bords du Lac Léman. Aujourd’hui, le port de Sciez. Nous allons prendre un peu de hauteur pour se rapprocher de son église Saint-Maurice, distante de quelques kilomètres de la rive sud du plus grand Lac d’Europe, à cheval entre la Suisse et la France.
En traversant la commune par la route départementale, reliant Annemasse à Thonon, on ne se doute pas du riche passé de la commune. Il est fort probable qu’au néolithique, une population soit déjà installée dans la région. Cette présence est confirmée à l’Age de Bronze, grâce à des fouilles récentes. On a même trouvé des pièces d’argent datant du premier siècle sur la commune. Il y a tout juste 1000 ans, en 1018, Rodolphe III de Bourgogne cède le lieu à l’Abbaye de Saint-Maurice, en Valais. Au deuxième millénaire, on cite l’Abbaye de Filly, au bord du lac, abbaye augustine placée sous la juridiction de Saint-Maurice. On ne sait hélas pas grand chose de sa fondation. Au XIIe siècle, elle passe sous la juridiction de l’évêque de Genève. On sait par ailleurs que les chanoines du Saint-Bernard avaient des vues sur cette abbaye. Après plusieurs siècles d’existence, sous plusieurs dominations (Saint-Maurice, évêché, Aulps, Ainay, commande) la vie communautaire est terminée en 1536, quand la région est envahie par les bernois qui imposent une nouvelle religion. Une fois le catholicisme rétabli, les barnabites rachètent les lieux. Mais les bâtiments conventuels et le clocher sont détruits. On ne sait pas la date de sa destruction, mais que certaines pierres ont été utilisée pour l’église paroissiale.
L’église Saint-Maurice, parlons-en, est bien plus discrète. On ne sait pas grand chose sur elle, si ce n’est qu’elle remonterait au XIe siècle, bâtie à l’emplacement d’une ancienne chapelle. En 1250, l’église est donnée à l’Abbaye de Filly. L’église est reconstruite en 1741, en conservant le clocher et le chœur de la chapelle Sainte-Catherine. Mais l’édifice n’a pas duré longtemps : la nef actuelle a été reconstruite entre 1873 et 1879. L’orientation de l’édifice a été inversé et le clocher conservé. Il est d’ailleurs bien plus petit que l’église.
Je suis aujourd’hui très heureux de pouvoir vous faire découvrir cette sonnerie et ce pour plusieurs raisons. La première est en raison de sa taille : ce clocher renferme pas moins de cinq cloches, ce qui est plutôt rare en Bas-Chablais. De plus, la sonnerie a été restaurée en 2015 avec la remise en service de deux cloches historiques fêlées depuis des décennies.
Les deux cloches plus anciennes portent toutes les deux la date de 1662. C’est le seul clocher du département, avec celui de Rumilly, qui a su conserver deux cloches antérieures à la Révolution fondues simultanément. Bien que datées, nos deux cloches de 1662 ne portent pas de mention d’un fondeur.
Au lendemain de la Révolution, qui détruit l’ensemble campanaire (ou presque!) de Sciez, Jean-Baptiste Pitton, fondeur établi à Carouge, est sollicité pour réaliser ce qui deviendra la plus grosse cloche de la sonnerie actuelle. Originaire de Châtillon-en-Michaille (Ain), il commença son activité en 1786 ou 1787 avant de laisser sa place, peu avant 1830, à François Bulliod, plus tard rejoint par son frère. Nous avons donc ici très certainement l’une de ses dernières cloches. La plus célèbre de ce fondeur reste la petite cloche de l’église de Quintal, fondue en 1796 avec l’aide du syndic, un certain Antoine Paccard. La fonderie Paccard -parlons en- livrait en octobre 1918 deux cloches. Elles ont très certainement pu sonner l’Armistice, comme en témoignent leurs inscriptions, apposées sur leur flanc alors qu’une délicate odeur de victoire envahissait nos contrées. Le clocher de Sciez fut sûrement le premier du département à bénéficier d’une électrification, en 1928. En 2015, les deux cloches de 1662 ont été déposées pour être réparées. La plus grande d’entre elles n’était plus utilisée car fêlée et la bélière mettait en péril la partie supérieure de la cloche. La petite, déposée dans une baie depuis des décennies, était elle aussi fendue. Elles ont donc traversé la France pour revenir en décembre 2015 toutes neuves avant d’être réinstallées. Depuis Noël 2015, le clocher peut à nouveau donner toute sa voix pour les grandes occasions.

Il y aurait tant à dire sur ces cinq cloches de l’église. La plus grande, livrée en 1825, à pour parrain Joseph-Prosper Gaetan d’Allinges, dernier représentant de cette noble famille. Elle cite également l’ensemble du conseil municipal de Sciez. La seconde cloche, livrée en 1918, à pour parrain Mgr Louis-Etienne Piccard, alors prélat à Rome et protonotaire apostolique. Celle a été donnée par sa soeur, Mme Louise Chapuis née Piccard. Elle est aussi sa marraine. La troisième cloche est la seule qui ne porte pas de nom. Ses inscriptions indiquent qu’elle a été financée par les paroissiens de Sciez. Elle cite en grande partie des nobles qui influaient sur la commune. On retrouve ainsi les marquis de Coudrée, Comte de Langin et même une dame de … La Rochette, en Savoie. La quatrième cloche, la plus petite livrée en 1918, a été fondue pour « carillonner la victoire ». Elle est parrainée par le commandant Bartholoni et son épouse Louise, propriétaires du château de Coudrée. « Barbara », la petite cloche, est disposée dans une des baies du clocher. Sa modeste taille lui permet aisément de se balancer entre les abats-son et le beffroi. Contrairement à sa grande soeur de 1662, ses inscriptions sont en latin.
N° | Nom | Fondeur(s) | Année | Diamètre (cm) | Masse (kg) | Note |
1 | St Maurice | J.B. Pitton | 1825 | 106,8 | 700 | Fa3 |
2 | Marie Louise Aimée | Les Fils de G. Paccard | 1918 | 99,3 | 600 | Sol3 |
3 | inconnu | inconnu | 1662 | 84 | 346 | La3 |
4 | Louise Renée Maurice | Les Fils de G. Paccard | 1918 | 75 | 246 | Do4 |
5 | Barbara | inconnu | 1662 | 60 | 126 | Ré4 |
En premier lieu, la cloche de 1825… (cloche 1)
…suivent les cloches de 1918 (cloches 2 & 4)…
…et les deux doyennes de 1662 (cloches 3 & 5).
Vidéo de la descente des cloches…
Je remercie pour cette visite du clocher la mairie de Sciez sous le mandat de M. Jean-Luc Bidal, maire, et plus particulièrement Mme Dominique Chaumeron, conseillère municipale chargée de la culture qui a supervisé les travaux de restauration. Je remercie aussi la paroisse pour l’accueil et les sonneries des cloches.
Mention, enfin, à mon fidèle ami Mike dit « Quasimodo » pour l’aide technique.
Sources & Liens :
Sciez
Abbaye de Filly
Eglise Saint-Maurice de Sciez
Paroisse de Sciez
Mairie de Sciez
Fonds privés – inventaire personnel