C’est au pays du Reblochon que je vous donne rendez-vous aujourd’hui. A mi chemin entre Annecy et les stations de ski du Grand-Bornand et de La Clusaz, le bourg de Thônes se trouve installé à la confluence du Fier et du Nom, rivières qui ont façonné deux vallées dont les alpages bénéficient encore aujourd’hui à la production de ce fromage, largement popularisé par la Tartiflette, plat récent mais devenu rapidement l’emblème gastronomique de toute une région, sinon un plat d’hiver caractéristique de notre pays ! Si Thônes est aujourd’hui la « capitale des Aravis », c’est le fruit d’un long chemin, parfois semé d’embûches. Tout commence par une décision du comte de Genève Guillaume III qui lui autorisa à tenir un marché hebdomadaire. Grâce à cette activité, le bourg a pu s’émanciper progressivement de la famille des Clets, installés dans la paroisse voisine des Clefs et qui contrôlaient tout un secteur, s’étendant de Thônes jusqu’à Faverges. Ensuite, un hôpital puis un collège s’y établissent, de même qu’un châtelain. Après la Révolution, la ville de Thônes vit principalement grâce à la production de Reblochon mais aussi la coupe de bois. A son apogée, 70 scieries se répartissaient autour des deux rivières. La Seconde Guerre Mondiale n’épargnera pas la ville de Thônes, qui est aujourd’hui décorée de la Médaille de la Résistance. Sa proximité avec le Plateau des Glières a rendu très actifs des réseaux de résistances pour finalement libérer la ville de manière autonome le 19 août 1944, alors que 15 jours avant encore, les allemands avaient bombardés la ville en représailles du Maquis des Glières ! Aujourd’hui, Thônes continue d’attirer en raison de son emplacement stratégiques entre lacs et stations de ski, mais aussi grâce à sa production de fromage et la présence de quelques industries, comme par exemple Mobalpa, dont le siège social est sur la commune depuis sa création en 1907.
La paroisse Saint-Maurice est attestée dès le XIe siècle, dans un document relatant les conflits entre le curé de Thônes et l’Abbaye de Talloires à la suite d’une donation de cette paroisse à ce monastère. On trouve le nom « Taunii » vers 1121, probablement dérivé d’un domaine gallo-romain venant de Tonniacum. Une église est mentionnée dans les visites pastorales de 1411, 1414 et 1445. En 1453, une nouvelle église est construite après un incendie qui ravage une partie du bourg et son sanctuaire. Entre 1663 et 1664, l’église est restaurée : le mur antérieur, le portail et l’avant portail sont refaits pour 1420 florins. Ces réparations interviennent dans une église qui commence à montrer des signes de fatigue. En 1687, la reconstruction de l’église se décide pour 6200 florins. A l’époque, c’est un petit sanctuaire sans voûte, avec un modeste clocher en bois au dessus du chœur et des chapelles sans symétrie. La reconstruction de l’église sera compliquée, car si toute la paroisse souhaite y mettre du sien, tant manuellement que financièrement, tout le pan des Villards s’y refuse ! Et pour cause, ils sont en instance de séparation et projettent de bâtir leur propre église ! Quoi qu’il en soit, en 1697, le gros œuvre et le clocher sont achevés. Pierre Chiesaz, architecte milanais, fut chargé de la bonne réalisation de l’édifice. Il fallut encore réaliser l’ameublement et la décoration intérieure du monument, sur le premier quart du XVIIIe siècle, ce qui n’empêcha pas une consécration en 1714. La cerise sur le gâteau sera la réalisation du somptueux retable, aujourd’hui encore pièce majeure de l’édifice. Représentant saint Maurice, patron de la paroisse, il fut commandé en 1726 à Pierre Jacquetti. Ce travail est soldé en 1728. En 1866, les peintures du chœur sont ajoutées et en 1883, on remplace le portail par l’actuel, dans un style néo roman. En 1930-31, le sanctuaire est restauré mais il sera malheureusement un dommage collatéral de la guerre. Lors du bombardement de Thônes le 3 août 1944, un bâtiment voisin est visé et l’explosion endommage alors le bas côté droit de l’église, qui sera partiellement reconstruit. En 1963, une nouvelle restauration de l’église est réalisée, avant qu’un orgue -en cours de relevage- soit ajouté sur la tribune en 1965. L’église est protégée par les Monuments Historiques depuis 1971, à l’exclusion de sa façade. Le retable l’était déjà depuis 1912, en raison de son intérêt patrimonial. A noter qu’il s’agit du plus grand retable baroque des Pays de Savoie !
En 1455, des nouvelles cloches sont fondues pour la nouvelle église reconstruite après l’incendie. Pour se faire, on amène de Genève 14 quintaux de métal et 4 quintaux d’airain. La fonte de la grosse cloche est confiée à Jean Perrodet de Genève. On ajoute deux quintaux de cuivre. Pour les trois autres, on missionne Pierre Quarta, lui aussi fondeur genevois et on ajoute 5 quintaux de métal. Deux curiosités sont à noter : qu’ils aient été appelés à travailler séparément sur les cloches. Si cette façon de faire n’est pas unique -plusieurs fondeurs ont été mandatés pour la fonte de nouvelles cloches à l’Abbaye de Saint-Maurice (Suisse) en 1702- elle peut surprendre, car ces deux fondeurs sont surtout connus pour avoir collaborés ensemble, par exemple à Sion ou encore Moudon (Suisse). A Nyon et Savières, toujours en Suisse, existent deux cloches de Jean Perrodet seul. Le 14 août 1664, la grande cloche tombe. Elle est réinstallée, non sans peine, le surlendemain. Ce n’est pas la première fois que cette cloche inquiétait car, lors d’une visite pastorale quelques décennies plus tôt, l’état de son installation était déjà jugé inquiétant.
A la Révolution, les cloches sont descendues non sans mal. Les révolutionnaires imposent de ne garder qu’une cloche au clocher. Problème : trois cloches étaient utilisées par l’horloge. Les habitants réclament donc de garder les trois cloches, indiquant que si elles sont partiellement saisies, l’horloge ne sera plus d’aucune utilité. Qu’importe : une seule doit rester au clocher, dont le sommet fut détruit. 13 cloches (église et chapelles) furent livrées à Annecy en vue d’être cassées en 1793. Voici leurs poids : 478, 436, 283, 208, 95 livres ; quatre cloches de 90 livres chacune, 2 cloches de 89 livres, une de 83 livres et une dernière de 20 livres. L’année suivante, Thônes se retrouve orpheline de cloches car la dernière doit être livrée à Annecy à son tour, au mépris de la Convention qui oblige les communes à garder une seule cloche. En 1795, Thônes peut récupérer une cloche à Annecy, selon les dernières instructions reçues. La plus grande reviendra aux frais des habitants, accompagnée de deux timbres pour l’horloge. En 1802, la seule cloche présente au clocher se trouve bien seule et jugée trop petite (c’était dit-on, la plus grande cloche prérévolutionnaire !). Elle sera rejointe par une seconde cloche, fondue l’année d’après pour la somme de 900 francs. Elle a été fondue en même temps que des cloches de plusieurs chapelles de la paroisse.
En 1828, le curé Jean-François Lavorel, nouvellement installé, se penche très rapidement sur les cloches de sa paroisse. Rappelons qu’à son arrivée, deux cloches se partagent le grand clocher : une première prérévolutionnaire et une seconde fondue en 1803. Sur ces deux objets d’airain, l’une d’elles -la plus grosse- était déjà fêlée. Le curé passe reprend en main les discussions menées entre les autorités et le fondeur Louis Gautier de Conflans, initiées peu avant sa nomination. Les différentes fontes de cloches entre les années 1828 et 1831 ne sont pas claires, tant les archives et les récits divergent. Le 44e tome des « Mémoires de l’Académie Salésienne » consacré à l’histoire de Thônes et rédigé par le chanoine Pochat-Baron donne une première version de l’histoire. Il est en effet fait mention que la grosse cloche est cassée et qu’une souscription est en place pour sa refonte et que l’argent récolté est de 1100 francs sur les 1400 nécessaires. En parallèle, une poignée de paroissiens (MM. Joseph-François Tessier, Jean-Michel Granger, Laurent Hugon-Gaillard dit Bornans et François André dit Jouvenceau) souhaite en profiter pour refondre l’autre cloche, bien que saine. On évoque aussi la fonte de deux autres petites cloches. On précise aussi que la fonte de la grosse cloche a manqué et qu’elle fut remise au printemps suivant.
Du côté des archives conservées au diocèse d’Annecy, la plume du curé Lavorel est bien représentée, avec quelques courriers d’époque, les inscriptions qu’il souhaitait apposer sur les quatre cloches ou encore la situation financière entre Thônes et le fondeur. Un autre écrit du prêtre, cosigné par quelques élus, fait mention du déroulé de la refonte des cloches : la souscription pour la refonte de la plus grosse est mentionnée comme tellement généreuse que la paroisse peut alors rajouter deux cloches plus petites et refondre la seconde cloche, bien que jugée « saine », afin de donner une sonnerie harmonieuse avec le même métal. La fonte sera confiée au sieur Louis Gautier qui se charge déjà de préparer la refonte de la grosse cloche sur place. Quant au paiement, n’apparait en 1828 qu’une facture pour les deux petites cloches, d’un poids final de 551 et 420 kilos. Il est précisé que la plus grande des deux est en partie financée par la Confrérie du Saint-Sacrement, attestée à Thônes depuis déjà plusieurs siècles. Pour retrouver la suite des opérations, il faut maintenant gravir le clocher. La seconde cloche de l’actuel ensemble campanaire porte deux dates : 1803 et 1829. Il est probable que sa fonte ait été différée l’année d’après. Quant à la plus grosse cloche, elle porte la date de 1831 et la double signature « Vallier et Gautier ». Deux choses sont à savoir à propos de cette cloche : la fonte est mentionnée comme « manquée et reportée » une première fois, probablement en 1829. Peut-être que cela s’explique car Louis Gautier a fondu peu de cloches d’un tel gabarit (on ne compte aujourd’hui que deux cloches plus lourdes, fondues en 1825 pour Groisy et Marthod). Il faut aussi noter que 1831 correspond à l’année de disparition de ce fondeur, il est donc fort possible que n’ayant pu honorer son contrat, ce fut les Vallier qui l’ont fait à sa place, comme semble le confirmer des archives privées détenus par les descendants. En regardant toujours de près nos cloches thônaines, nous remarquons que les deux petites ne datent pas de 1828, mais de 1891 pour la troisième, et de 1841 pour la plus petite. Si les archives manquent pour cette dernière, nous comprenons aisément que la cloche de 420 kilos fondue en 1828 ne fit pas long feu. La refonte fut commandé aux frères Paccard de Quintal, dont la génération suivante réitèrera l’opération pour refondre cette fois la troisième, la portant de 551 à 620 kilos. Dans leurs devis, ils suggèrent même d’étoffer la sonnerie avec trois plus petites cloches ! Ces quatre cloches, aux décors typiques de leurs fondeurs, ne comportent presque pas de français : seule la signature de la cloche de 1891 l’est ! Même celle de la cloche de 1841 est dans la langue de l’Eglise, alors que les Paccard ont d’habitude leur manière de signer en français, propre à chaque génération ! Le patron de la paroisse, saint Maurice, est représenté sur les quatre cloches, il accompagne la Vierge, un Christ ou un simple crucifix et sur la troisième cloche, un ostensoir pour rappeler son lien avec la confrérie du Saint-Sacrement. Il est à noter que cette même confrérie a peut être aidée au financement de la cloche de 1841, car son prieur en est le parrain. Quant aux inscriptions, les quatre cloches appellent à la prière. La plus grosse reprend la lettre de saint Paul apôtre aux Ephésiens « Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. » alors que la seconde lui répond « Louez le Seigneur tous les peuples, louez le avec des cymbales bénies » tirée des psaumes 116 et 150. La troisième cloche appelle le Seigneur à bénir montagnes et collines et cite un extrait de la prière « Panis Angelicus » : « Ô chose admirable ! Il se nourrit de son Seigneur. Le pauvre, le serviteur, le petit. », nouvelle référence à la Confrérie du Saint-Sacrement. La petite cloche, enfin, reprend le Psaume 121 « Quelle joie quand on m’a dit : « Nous irons à la maison du Seigneur ! » »
| N° | Nom | Fondeur | Année | Diamètre (cm) | Masse (kg) | Note |
|
1 |
Saint Maurice | Vallier & Gautier | 1831 | 135,4 | ~1’500 | Ré3 |
| 2 | Saint Maurice | Louis Gautier | 1829 | 114,6 | ~900 |
Fa3 |
|
3 |
Marie Julienne | G&F Paccard | 1891 | 100,2 | 620 | Sol3 |
| 4 | Saint Maurice | Frères Paccard | 1841 | 90,3 | ~420 |
La♭3 |
Mes remerciements vont à :
La commune de Thônes et plus particulièrement M. Pierre Bibollet, maire, pour son autorisation.
Mme Nicole Lauria, conseillère déléguée à la valorisation du patrimoine historique, pour son accueil et l’ouverture des différentes portes.
La paroisse de Thônes et ses prêtres, pour les sonneries exceptionnelles hors célébrations liturgiques.
Mes amis Claude Michael-Mevs, Arthur Auger et Matthieu Jules pour l’aide à la réalisation de ce reportage.
Mme Mélanie Maréchal, conservatrice des archives historiques du diocèse d’Annecy, pour la mise à disposition d’archives sur le patrimoine campanaire de Thônes.
Sources & Liens :
Mairie de Thônes
Paroisse Saint-Pierre-Favre des Aravis
Mémoires et documents de l’Académie Salésienne, tome 44, 1926
Archives diocésaines d’Annecy
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