Une commune de 3 000 âmes au caractère rural
Véritable balcon sur la vallée de l’Arve, la commune de Pers-Jussy est visible — dit-on — de plus de 40 villages alentour ! Si le chiffre est sans doute un peu enjolivé, il suffit de lever les yeux pour apprécier l’ampleur du panorama : la vallée de l’Arve s’ouvre à l’ouest, glisse vers la plaine d’Annemasse et rejoint plus loin le Rhône en aval de Genève.
Le regard embrasse alors un paysage à plus de 180°, du Salève aux Bornes, en passant par le Jura, les Brasses, le Môle et, au loin, quelques cimes du Massif du Mont-Blanc.
Éparpillée en hameaux sur un territoire de plus de 18 km², la commune conserve une identité rurale et montagnarde : fermes anciennes, chemins de crête, vergers, forêts… et, au cœur du bourg, une église qui domine fièrement le paysage. Avec sa couleur orangée si singulière, elle est visible à des kilomètres et incarne l’union de deux paroisses réunies au début du XIXe siècle.
Une église-phare dans la vallée
L’église Saints-Pierre-et-Paul, achevée en 1854, est bâtie dans le style néoclassique sarde, sur un plan basilical typique des constructions religieuses de l’époque.
Sa réalisation, précédée de quinze années de débats, coûta 90 000 livres, soit trois fois plus que ce qui avait été prévu : un effort considérable pour une communauté de 2 000 paroissiens.
À l’intérieur, la nef baigne dans une atmosphère chaleureuse. Le maître-autel, commandé en 1856 et livré en 1860, met en scène les deux saints patrons de la paroisse. Deux autels latéraux complètent l’ensemble : à droite, un autel dédié à la Vierge Marie, à gauche, un autre à saint Antoine, patron de Jussy.
Fait étonnant, l’église ne fut consacrée que le 6 mai 1863, près de dix ans après son achèvement, sans qu’aucun document n’en explique la raison.
En 2004, pour son 150e anniversaire, l’édifice a bénéficié d’une restauration complète. Depuis, sa façade orangée capte la lumière et se repère de très loin, telle un phare dans la plaine.
Deux paroisses pour une église
L’actuelle église remplace les anciens lieux de culte de Pers et Jussy, distants d’à peine un kilomètre. Réunies au lendemain de la Révolution spirituellement puis administrativement, les deux paroisses se retrouvent dans l’église de Pers, agrandie puis remplacée au XIXe siècle par l’édifice actuel, bâti un peu plus bas dans le village.
Les archives mentionnent Pers dès 1212 (possession de l’abbaye d’Entremont) et Jussy en 1291 (rattachée au prieuré de Saint-Victor de Genève).
À Pers, un terre-plein artificiel fut créé en 1498 pour y ériger une nouvelle église, entourée d’un cimetière. Elle servit jusqu’au milieu du XIXe siècle avant qu’on construise l’actuelle, en contrebas. Le terre-plein existe encore et a abrité des terrains de tennis qui ont depuis peu laissé leur place à un parking et une aire de jeux.
Les églises disparues de Jussy
De Jussy, il ne reste plus rien : sa première église fut remplacée au XIVe siècle, restaurée avant la Révolution, puis vendue en 1829 avant de disparaître.
Heureusement, quelques éléments de mobilier furent préservés et intégrés à l’église de Pers-Jussy : la statue de saint Antoine, patron de Jussy, ou encore le Christ suspendu entre le chœur et l’autel de la Vierge. Certains paroissiens de Jussy dénoncèrent d’ailleurs à l’époque un véritable vol de la part de leurs voisins de Pers.
De l’ancienne église de Pers, quelques œuvres subsistent également : deux tableaux (saint François et l’Annonciation) dans le chœur, et un Christ « Renaissance » à la tribune.
Cloches en voyage
L’histoire des cloches est particulièrement mouvementée.
- Celles de Jussy sont presque inconnues. Après la Révolution, Joseph Pugin, agent municipal de Jussy, récupère à Bonneville une cloche de 250 livres poids de marc (env. 120 kilos). Confisquée à la Révolution, sa provenance est inconnue. Cette cloche sera ensuite récupérée par la paroisse de Pers à la fusion des deux paroisses.
- À Pers, les premières mentions datent de 1754, quand les deux cloches en place furent refondues et augmentées par Jean-François Livremont, fondeur originaire de Pontarlier installé à Annecy. Mais elles disparurent à la Révolution. Joseph Naville, agent communal, récupère alors à Bonneville une cloche estimée entre 470 et 515 kilos pour l’installer au clocher de Pers. La description et la provenance de la cloche sont connues : elle a été fondue en 1784 par Claude-Joseph Livremont, membre de la même dynastie que Jean-François, pour la paroisse d’Argentière (Chamonix). Confisquée à la Révolution, elle fait partie des 92 cloches réinstallées dans un clocher dès 1796. En 1816, les élus chamoniards essayent en vain de la récupérer.
Au début du XIXe siècle, Pers possédait donc deux cloches : une petite (Jussy) et une grosse (Pers). Cette dernière, fêlée en 1820, fut refondue une première fois, sans en savoir plus sur les conditions de sa fonte, ni par qui. Légèrement augmentée, elle se cassa en 1824 déjà et fut alors refaite et doublée de poids par Claude Baudy en 1829, atteignant plus d’une tonne. Pour financer l’opération (entre autres), la commune vendit l’ancienne église et le cimetière de Jussy… à Baudy lui-même !
Mais les déboires continuèrent : en 1836, la cloche de Jussy se brisa, puis en 1842, la grosse cloche refondue en 1829. La paroisse se retrouva sans aucune cloche.
1842 : trois nouvelles voix pour Pers-Jussy
En juillet 1842, trois nouvelles cloches, fondues par les frères François et Jean-Marie Bulliod à Carouge (Genève), furent livrées et bénies. Leurs poids respectifs étaient de 1 089 kg, 569 kg et 211 kg.
Elles portent des inscriptions classiques : parrain, marraine, curé, vicaire et élus de la commune. Si la grosse cloche est clairement mentionnée dans les délibérations communales quant à son acquisition, le financement des deux petites restent mystérieux à l’heure actuelle. Sont-elles l’œuvre de souscriptions ou de libéralités privées ?
Le XXe siècle : la naissance de « Marie-Pierre »
En 1946, la grosse cloche, fêlée une fois encore, fut refondue sous le nom de Marie-Pierre, avec un poids légèrement inférieur (1 069 kg). Elle porte une inscription laconique rappelant son histoire, sans parrain ni marraine. Seul le nom du curé, Gaston Bouvard, y apparaît.
Depuis lors, les trois cloches rythment la vie du village et sonnent électriquement : heures, angélus, annonces de décès, offices… et chaque dimanche matin, elles sonnent encore la Résurrection, même en l’absence de messe.
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N° |
Nom | Fondeur | Année | Diamètre (cm) | Masse (kg) | Note |
| 1 | Marie-Pierre | Les fils de G. Paccard | 1946 | 119,4 | 1’069 |
Mi3 |
|
2 |
— | Bulliod frères | 1842 | 97,1 | 569 | Sol♯3 |
| 3 | — | Bulliod frères | 1842 | 70,6 | 211 |
Do♯4 |
Remerciements :
Mme Isabelle Roguet, maire, pour son aimable autorisation et son accompagnement au clocher.
M. Denis Dupanloup, maire adjoint, pour l’ouverture du clocher.
M. Matthieu Jules, guide à la fonderie Paccard et passionné breton, pour l’aide apportée à la réalisation de ce reportage.
Sources & Liens :
Mairie de Pers-Jussy.
Paroisse Saint-Jean-XIII d’Arve et Salève.
Constantin de Magny, Claude. L’église de Pers-Jussy, ou la fusion de deux paroisses. Non édité, 2015.
Archives départementales de la Haute-Savoie, EDEPOT 211.
Archives départementales de la Haute-Savoie, EDEPOT 330.
Coutin, François, « Histoire de la Collégiale de Sallanches et ses annexes », Mémoires et documents de l’Académie salésienne, no 59, 1941.
Relevé personnel
Clichés personnels










