Cernex – Eglise Saint-Martin

Bienvenue au cœur du Genevois savoyard
Le petit village de Cernex déploie son bourg et ses hameaux sur les pentes septentrionales du mont Sion, façonnées par l’érosion du nant Trouble et du ruisseau du Mostan, qui traversent la commune avant de rejoindre, à son extrémité sud, la rivière des Usses. Vue du ciel, c’est une alternance de maisons, de forêts et de pâturages qui se dessine. Au centre de cet ensemble s’organise le chef-lieu, avec l’église Saint-Martin, son poids public, l’ancienne cure, la mairie et l’école. À mi-chemin entre Genève et Annecy, et à un jet de pierre de l’ancienne voie romaine — aujourd’hui la route départementale D1201 —, Cernex offre un cadre de vie agréable et préservé.
La présence humaine à Cernex ne date pas d’hier : des vestiges d’une occupation romaine ont été mis au jour au hameau de Verlioz. Au Moyen Âge, Cernex devient le centre d’une seigneurie, dont subsiste encore le château. Celui-ci appartient d’abord à la famille de Lucinge dès le XIIIe siècle, puis passe successivement aux Mandallaz, puis aux Costa, qui deviendront les Costa de Beauregard. Après divers transferts survenus à la suite de la Révolution, le château est aujourd’hui une propriété privée.

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Une église enracinée dans les siècles
L’église Saint-Martin de Cernex est attestée, elle aussi, au XIIIe siècle : Amédée Posey en fit don à l’évêque de Genève. Le patron de la paroisse, saint Martin, fut évêque de Tours au IVe siècle, dit-on sans son consentement. Fêté le 11 novembre, il compte aujourd’hui parmi les patrons secondaires de la France. Près de 500 villages portent son nom, et plus de 4 000 églises sont placées sous sa protection ! C’est aussi un gage d’ancienneté pour la paroisse.
On note d’ailleurs que dans les actes d’état civil du XVIIe siècle, conservés aux Archives départementales de Haute-Savoie, le saint tourangeau protégeait déjà Cernex. On sait aussi que le 7 juillet 1443, Mgr Barthélemi Vittelleschi, évêque de Corneto et Montefiascone, donna la tonsure dans la paroisse au nom du cardinal François de Mez, évêque de Genève.
L’actuelle église Saint-Martin fut construite en 1646, dans le style gothique. Agrandie en 1749 à partir de la voûte centrale, elle fut encore remaniée dans les années 1840. Sa dernière consécration remonte au 19 avril 1846, par Mgr Rendu, évêque d’Annecy.
La nef principale, avec ses voûtes gothiques, ouvre sur deux chapelles latérales : celle de gauche est dédiée à saint Martin, celle de droite à la bienheureuse Vierge Marie. L’intérieur de l’édifice a été restauré avec goût en 2024, et la réouverture officielle eut lieu — comme pour une célèbre cathédrale parisienne — le 7 décembre. À l’extérieur, le monument fut rafraîchi il y a une décennie. Le chevet, typique des constructions gothiques, mérite le regard.
Le clocher n’est pas en reste, notamment avec ses baies géminées romanes au niveau des cloches, signe d’une construction probablement plus ancienne que l’église actuelle. S’il a perdu sa toiture en 1793, sur les ordres d’Albitte, il fut reconstruit dès 1796, car élus et citoyens s’émouvaient de voir le monument prendre l’eau.
La face nord-ouest de la charpente du clocher de Cernex fut dotée d’une horloge au lendemain de la Première Guerre mondiale, pilotée par une horloge mécanique jurassienne Terraillon, qui actionnait aussi, sur la grosse cloche, les sonneries horaires. Elle fut un don de Marie-Cécile Dufaux, en mémoire de son mari François et de ses deux fils, Tiburce et Cyrille-Marcel, tous deux « morts pour la France ». Aujourd’hui remplacé par un système 100 % électrique, piloté depuis la sacristie, le mouvement d’horloge coule une retraite heureuse dans la salle du conseil municipal de la commune.

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Une grosse cloche refondue trois fois en 106 ans !
Le clocher de l’église Saint-Martin de Cernex est un véritable écrin pour deux cloches du XVIIIᵉ siècle. C’est un cas isolé — si ce n’est unique — dans nos contrées, tant on sait combien la Révolution fut génocidaire pour les cloches, provoquant même un grand brassage de celles-ci dans nos vallées. Nous y reviendrons !
La plus grosse cloche de Cernex — et la plus récente — date de 1787 et porte la griffe de Jean-Baptiste Pitton. Elle remplaçait une cloche de 1755 déjà fêlée. Les archives d’état civil nous rapportent qu’une convention fut signée avec le fondeur le 7 juin, pour un prix de 240 livres. Le 22 juin, le fondeur réalisa une nouvelle cloche de 479 kilos, légèrement plus lourde que l’ancienne, ce qui fit grimper le prix total à 384 livres, justifié par un apport de métal supplémentaire. La commune fournissait en effet l’ancienne cloche et prenait à sa charge le transport des deux cloches, l’ancienne et la nouvelle.
Dédiée à saint Pierre, la cloche fut parrainée par Pierre-Louis Brun, comte de Cernex, et son épouse Mathilde d’Oncier de la Bathie. Pour la bénédiction, célébrée le premier dimanche de juillet, ils furent représentés par leurs fermiers, François Charrière fils et son épouse Jeanne Lachat. La cloche cite encore les autorités. Il y a le curé, le chanoine de Roget, son vicaire Simon Rey et le syndic, F. Dupeinier.
Les actes d’état civil ne s’arrêtent pas là. Entre deux baptêmes de 1755, un long paragraphe retrace — cette fois-ci — l’épopée de la fonte de la cloche précédente. Fêlée en octobre 1750, ce n’est que le 24 juin 1755 qu’un prix-fait fut accordé à Simon Fontaine, fondeur lorrain, pour refondre la cloche moyennant 150 livres. Le 12 juillet suivant, il coula une cloche légèrement plus lourde de 35 livres (poids d’Annecy), bénie « sans invitation » et installée au clocher dès le lendemain.
Le parrain fut déjà, une première fois, Pierre-Louis Brun, comte de Cernex, et la marraine Jaqueline Blancheville de Cernex. Tous deux furent représentés, comme en 1787, par Pierre-François Charrière et son épouse Marie Bretton, fermiers du parrain.
Mais l’acte ne s’arrête pas là… Il fait aussi mémoire de l’ancienne cloche : fondue en 1681, elle portait — en latin — l’inscription suivante : « Par ce tintement de cloche, que se dissipent : la puissance des envieux, les ombres des fantômes, les coups de la foudre, la violence des tonnerres, les calamités des tempêtes, et tout esprit des orages. » Suivaient les noms du parrain et de la marraine : « Gaspard César, comte du Villard, baron de Cernex, seigneur de Beauregard, Massongy, Crappon, coseigneur de Nernier et Frise, trésorier, conseiller d’État de S.A.R., président ordinaire en la chambre, et demoiselle Laurence Bertier de Lamotte. »
C’est ainsi qu’en un peu plus d’un siècle, la grosse cloche de Cernex fut jetée au creuset… trois fois !

Vues sur la grosse cloche :

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De Saint-Nicolas-de-Véroce à Cernex…
La petite cloche de Cernex, installée à ses côtés, date de 1759. Elle est assez curieuse, car aucun écrit ne la mentionne : ni elle, ni d’éventuelles autres refontes. Les archives relatent toujours les péripéties liées à la grosse cloche.
Ses inscriptions permettent de mieux cerner son histoire, et les archives éclairent le contexte révolutionnaire à Cernex. Pour mieux la comprendre, il a d’abord fallu la décrypter. Après une maxime en latin — « Au son de mon bronze, volez docilement vers les temples, car si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » — elle cite son parrain, Jean-François Mollard, et sa marraine, Jeanne-Nicolarde Orset, son épouse. Puis le vicaire, J.M.A. Chesney, et l’abbé J. Bouvard, « prêtre résident ».
De ces quatre noms, des recherches permettent de converger vers une paroisse : Saint-Nicolas-de-Véroce. La généalogie montre que le couple qui a parrainé la cloche est né, s’est marié et est décédé dans ce village du massif du Mont-Blanc. Les dictionnaires du clergé d’Annecy, élaborés par le chanoine Rebord, mentionnent aussi deux prêtres présents dans la paroisse cette année-là : Jean-Marie Bouvard, vicaire et régent de la paroisse de 1747 à 1760, avant d’être le premier curé des Contamines-Montjoie ; Joseph-Marie-Alexis Chesney, quant à lui, fut vicaire de la paroisse de 1753 jusqu’en 1781, puis curé de Saint-Jean-d’Aulps.
Le fondeur de notre cloche, Jean-Claude Livremont de Pontarlier, établi à Thonon-les-Bains, a aussi fondu une cloche la même année pour le clocher de Saint-Nicolas-de-Véroce. Cette dernière y sonne encore aujourd’hui.
Mais alors, comment expliquer sa traversée du département ? Il faut pour cela faire un saut dans le temps.
À la Révolution, la commune de Cernex atteste détenir deux cloches. Elle est alors invitée à en livrer une à Carouge à l’automne 1793. La cloche fut descendue dans l’église quelques jours avant son transfert. Mais, grande surprise : durant une nuit, des malfaiteurs se sont introduits dans l’église pour la dérober ! Les élus convoquent alors tous les habitants le 11 mars 1794 (21 ventôse an II) pour leur demander si quelqu’un est complice de ce méfait. Chaque individu est alors invité à prêter serment. Des fouilles ont même été réalisées dans un champ récemment labouré, mais ni les ravisseurs ni la cloche n’ont été retrouvés !
Les autorités révolutionnaires exigent alors, en réponse, que l’autre cloche — la plus grosse, celle de 1787 — soit livrée. Les archives racontent cette fois que personne n’est capable de dire si la cloche est effectivement livrée à Carouge, les élus « habitant trop loin du clocher ». Malgré tout, ils assureront que la cloche a été livrée ! Deux siècles plus tard, on peut se demander si les élus ne manquaient pas de considération à l’égard des autorités révolutionnaires, car il était très simple d’aller vérifier dans la tour si la cloche était encore là !
De plus, on remarque qu’en 1796, en parallèle de la reconstruction du clocher, les autorités demandent à Carouge de leur restituer leur cloche donnée le 31 mars 1793 (11 germinal an II), ou une de poids équivalent ! Que dire de cette ironie quand on sait que la petite cloche n’a jamais été retrouvée, et que la grande est toujours au clocher… en 2025 !
La suite de cette épopée est connue par les multiples histoires contées dans de nombreux clochers de Haute-Savoie : confisquée à Saint-Nicolas-de-Véroce en 1793, la cloche fut déposée à Bonneville avec tant d’autres cloches du Faucigny. Elle qui a échappé à la casse, comme beaucoup d’autres, fut récupérée par Cernex.
Pourquoi à Bonneville et pas à Carouge ? Car les cloches envoyées là-bas n’ont malheureusement pas connu le même sort et furent rapidement brisées, à quelques exceptions près. Arrivée à Cernex, elle fut installée aux côtés de la cloche Pitton et — par bonheur pour nous — elle ne fut jamais refondue depuis, et continue de sonner, infatigablement, les angélus quotidiens, matin, midi et soir.

Vues sur la petite cloche :

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Nom Fondeur Année Diamètre (cm) Masse (kg)

Note

1

Saint Pierre Jean-Baptiste Pitton 1787 92,7 479 Sol♯3
2 Jean-Claude Livremont 1759 83,5 ~320

La 3

Tout en haut : vue générale du beffroi construit en 1796.

Mes remerciements vont à :
Mme Nadine Cusin, première adjointe au maire, pour son accueil et l’ouverture du clocher.

Sources & Liens :
Archives départementales de Haute-Savoie, E DEPOT 52 « Archives communales déposées de la commune de Cernex ».
Archives départementales de Haute-Savoie, E DEPOT 52 GG2, E DEPOT 52 GG3, « Etat civil de la commune de Cernex ».
Rebord, C.-M., Administration diocésaine. Gerbe de notes et documents : ordinations, consécrations d’églises et d’autels, conférences ecclésiastiques, mandements des évêques, immunités, hospice, etc., Annecy : Imprimerie commerciale (Grand Séminaire), 1922, in‑8°, env. 365 p.
Rebord, C.-M. & Gavard, A., Dictionnaire du clergé séculier et régulier du diocèse de Genève‑Annecy de 1535 à nos jours, Tome I (A–G), Bourg : impr. J. Dubreuil, 1920, Tome II (H–Z), Annecy : impr. communale, 1921
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