
Installé dans la Vallée du Giffre, Samoëns est un bourg organisé autour de sa place où trône le Gros Tilleul depuis plus d’un demi-millénaire. Il forme un ensemble séculaire avec la Grenette, l’église paroissiale -ancienne collégiale du diocèse d’Annecy-Genève-, la fontaine et la mairie. Mais le village ne se limite pas au simple vallon sur lequel le bourg est édifié. Sur les adroits et les envers se trouvent une multitude de hameaux. Les neuf plus importants possèdent depuis des siècles leurs propres chapelles, presque toutes antérieures à la Révolution. Au total, 2’300 « septimontains » vivent à l’ombre de sept monts qui sont sur le territoire de la commune. Samoëns demeure un repère pour tous. Historiquement, ce lieu est celui des tailleurs de pierres. En témoigne la confrérie « des quatre couronnées » regroupant un grand nombre de tailleurs de pierres. Les spéléologues noteront le massif karstique du Criou qui abrite deux des plus profonds gouffres du monde, « Jean-Bernard » et « Mirolda ». Les historiens s’intéresseront d’avantage à Mme Jaÿ, native du lieu, fondatrice de la Samaritaine avec son époux, M. Cognacq. Les studios de radio Cognacq-Jaÿ à Paris leur rendent hommage. Le souvenir de Mme Jaÿ demeure cependant à Samoëns puisqu’il y a un siècle, elle offrit à la commune un jardin botanique, toujours ouvert au public, et qui accueille des plantes de montagne du monde entier. Le jardin porte d’ailleurs le doux nom de « Jaÿsinia ». En son sommet, les plus courageux découvriront les ruines d’un château détruit à la fin du Moyen-Âge. Aujourd’hui, Samoëns attire toujours les touristes tant l’été pour des randonnées ou des visites culturelles, que l’hiver avec son grand domaine skiable à 1’600m d’altitude.

Si le village semble tirer ses origines bien avant la fondation de l’abbaye voisine de Sixt, la première mention d’un édifice religieux catholique remonte a 1167, lorsque la paroisse de Samoëns est donnée à ladite abbaye. De cette église, il ne reste que la base de la tour-clocher (XIIIème siècle) et la chapelle Saint Claude (XVe). En 1476, l’édifice est détruit par les Bernois. A peine reconstruit, il est la proie des flammes avec une partie du bourg. En 1575, après maintes négociations, l’église s’affranchit de la tutelle de l’Abbaye de Sixt et se voit élevée au rang de Collégiale, deux décennies après l’achèvement des travaux de construction du bas-côté droit et du porche. Sous ce dernier, on trouve – de chaque côté de la porte – les armoiries du cardinal Gerdil et de Mgr Biord, ecclésiastiques natifs de Samoëns. Le chœur est élevé en 1605, le bas-côté gauche en 1621. La sacristie date, quant à elle, de 1840. A la Révolution, la flèche et les quatre clochetons sont détruits. Reconverti en Temple de la Raison, l’édifice est rendu au culte en 1802, mais comme simple église paroissiale. En 1917, Marie-Louise Cognacq-Jaÿ, fondatrice de la Samaritaine de Paris et enfant du village, finance le remaniement – dans un style néogothique – de l’église, qui reçoit une nouvelle cure de jouvence entre 1978 et 1982. Le classement aux Monuments-Historiques intervient en 1987.

L’histoire campanaire de Samoëns se décompose en plusieurs catégories :
Monument incontournable, la « Grosse Cloche » est la quatrième du département par son poids, juste après les trois bourdons d’Annecy, respectivement installés à Notre-Dame-de-Liesse, à la Visitation et à la Cathédrale.
Dès la fondation de la collégiale, les autorités ont la volonté d’édifier une sonnerie « digne du rang » de l’édifice religieux. Cette phrase laisse à penser que tout l’ensemble campanaire fut remanié. Mais les archives témoignent uniquement de la fonte du « bourdon » qui ne devait donner de la voix qu’aux grandes heures du lieu. En 1581, l‘église de Valère, à Sion, confie à Samoëns une once et demi d’une relique de la « sainte-cloche » « Théodule ». La légende raconte en effet que le pape offrit une grosse cloche à saint Théodule, premier évêque du Valais, pour sa cathédrale. Pour la transporter, le prélat propose un pacte au diable. Celui-ci précise que le diable devra transporter ladite cloche jusqu’à Sion. S’il arrive avant le premier chant du coq, le diable pourra emporter avec lui la première âme qu’il trouvera. Naturellement, le coq chanta avant même son arrivée dans Sion. Cette cloche sonna dans le clocher de Valère jusqu’à sa fêlure. Avec le recul, tout laisse à penser que cette cloche fut en fait fondue en 1334 et qu’elle n’était déjà plus en état de sonner cinq ans plus tard. Dès le XVe siècle, le diocèse valaisan offrit en relique des onces de cette cloche pour transmettre le pouvoir divin que l’illustre instrument était censé avoir : éloigner les orages et éviter les catastrophes.

Cette once et demi fut dont incorporée au bourdon septimontain qui prit alors naturellement le nom de Théodule. En avril 1649, la cloche fond dans un incendie. Elle est aussitôt refondue aux frais du Duc de Savoie de l’époque. Après avoir survécu à la Révolution Française, le bourdon se fêle en 1809. Il sera refondu par M. Samuel Croix, fondeur établi à Annecy, inconnu jusqu’alors. Après un essai malheureux, Samuel Croix retente sa chance et parvient finalement à livrer cette cloche de trois tonnes, le 12 février 1810. Depuis deux siècles, le bourdon ne fait entendre sa sonorité puissante que dans de rares occasions, même si hélas, son usage semble tomber en désuétude.

Avec le Gros Bourdon, seule une petite cloche de quelques quintaux put traverser cette dure épreuve qu’est la Révolution. Mais ces deux cloches ne suffisaient pas à rendre service aux différentes sonneries quotidiennes. Dans les années 1820, l’idée d’un « carillon » germe dans les esprits. La commune lance alors la fonte de trois cloches. Le curé de l’époque, le Rd Michaud, tient à en offrir une quatrième, et la confrérie du Saint-Sacrement finance de son côté sa propre cloche. Il était même question de refondre la Théodule ! Mais cette idée fut vite abandonnée. Le 8 octobre 1824 sont fondues sur la place des Billets six cloches (aux cinq cloches paroissiales s’ajoutent la cloche de la chapelle du Bérouze) par Claude Paccard, fondeur de Louis Frèrejean. Théodule et sa petite sœur sont donc accompagnés par Claudine-Françoise, Marie, Marie -cloche du St-Sacrement-, Antoinette et Josette-Françoise. Le carillon fut jugé assez faux et certaines cloches semblaient être d’une qualité médiocre.

En 1877, soit un demi-siècle après la livraison du « carillon », la petite cloche historique, Claudine-Françoise et sa jeune sœur Antoinette sont déjà fendues. Il ne reste donc que quatre cloches, en comptant celle de la Confrérie, en état de fonctionner. Alors, la commune commande aux frères Paccard un second « bourdon » de 1’500 kilos. « Marie-Félicie » sera fondue le 13 juin 1877 avec le métal des anciennes cloches. Elle prend place près du bourdon, au dernier étage du clocher. Mais sa venue complique l’ordonnance des sonneries, au lieu de la faciliter. En 1877, le conseil municipal, conformément aux dispositions des principes organiques, saisit l’évêque et le préfet pour réglementer les volées de la « grosse cloche ». Elle sera dispensée de sonner les cérémonies religieuses et sera autorisée à sonner uniquement pour des fêtes civiles et la réception des autorités communales. En 1881, le maire ajoute que la cloche ne pourra être mise en branle que sur son autorisation, sauf pour le tocsin et pour l’angélus. Cet arrêté est contesté par le curé et l’histoire monte jusqu’au Conseil d’État, qui donnera finalement raison au premier magistrat de Samoëns. Cette affaire fit d’ailleurs jurisprudence pour beaucoup d’autres. Mais la loi de 1905 vint tout rompre en raison de nouvelles modalités contraires aux précédentes dispositions. Cette affaire laisse cependant quelques vestiges : encore aujourd’hui, la grande cloche est mise en branle seule pour de rares occasions. Il y a encore quelques décennies, on pouvait l’entendre pour le Nouvel An, à l’Assomption -fête patronale- et pour sonner le glas, le soir de Toussaint et de la « Fête des Morts » le lendemain. Le bourdon rendait ainsi hommage à tous les défunts décédés depuis la Toussaint précédente, alors que les familles se rendaient au cimetière. Malheureusement son usage est tombé en désuétude car les anciennes dispositions, bien qu’inapplicables aujourd’hui, ont mis cette belle cloche en retrait, si bien qu’elle reste désormais muette pour les grandes occasions.
Début du XXe siècle, une autre affaire intrigante prend pour décor le clocher : vers 1910, le « Vieux Chroniqueur » dresse un historique de la sonnerie dans le bulletin paroissial. Il mentionne cinq cloche : Théodule -le bourdon-, Marie-Félicie, les deux Marie… et Josette-Françoise ! Cette petite cloche ne fut pas électrifiée comme ses grandes sœurs en 1932. Et même aujourd’hui, il n’y a que quatre cloches au clocher. A-t-elle fêlé avant 1932 ? A-t-elle changé de clocher ? Le mystère reste entier. Si aujourd’hui, le Gros Bourdon reste généralement muet, ce sont Marie-Félicie (2) et la grande Marie (3) qui se font entendre chaque quart d’heure, pour les angélus et le dimanche matin. Pour les sépultures, la petite Marie (cloche du Saint-Sacrement) se joint à la macabre volée, étant donné que la Confrérie n’existe plus. Elle sonne également seule aux baptêmes.

Aujourd’hui, près du bénitier, un instrument de 19 cloches complète l’ensemble campanaire. Il s’agit de l’ancien carillon « Ars Sonora » du musée de la Fonderie Paccard. Cet instrument électrique est programmé pour jouer automatiquement en journée (sauf le samedi et le dimanche matin) et peut aussi être joué à l’aide d’un clavier. C’est une véritable rareté d’avoir un carillon installé sous une nef, près du grand orgue, plutôt qu’au sommet d’un clocher !
Nº | Nom | Fondeur(s) | Date | Diamètre (cm) | Masse (kg) | Note |
1 | Théodule, Gros Bourdon ou Grosse Cloche | Samuel Croix | 1810 | 169,4 | 3000 | Si 2 |
2 | Marie-Félicie | Frères Paccard | 1877 | 134,3 | 1500 | Ré 3 |
3 | Marie | Claude Paccard | 1824 | 104 | 700 | Fa dièse 3 |
4 | Marie, Confrérie du saint Sacrement | Claude Paccard | 1824 | 93,3 | 500 | Sol Dièse 3 |
Détail de la seconde cloche, Marie-Félicie :
Les deux petites cloches, fondues en 1824 :
Mes remerciements, pour les visites du clocher et les sonneries spéciales, à la municipalité sous le mandat de M. Jean-Jacques Grandcollot, maire. Je remercie également la communauté paroissiale sous le mandat du père Hébert pour sa collaboration. Remercié soit aussi Mickael Meynet, en charge du patrimoine, pour m’avoir ouvert le clocher à deux reprises et pour la mise à disposition d’intéressantes archives. Je remercie encore mes fidèles camarades, à savoir Mike « Quasimodo » et M. Matthias Walter, expert-campanologue à Berne. Enfin, je tiens à remercier Me Pascal Krafft, campanologue à Saint-Louis, pour la mise à disposition d’archives juridiques sur les réglementations et les jurisprudence campanaires de Samoëns et d’ailleurs.
SOURCES & LIENS :
http://samoens.com
http://www.mairiedesamoens.fr
http://fr.wikipedia.org/wiki/Samo%C3%ABns
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_Notre-Dame_de_l%27Assomption_de_Samo%C3%ABns
http://www.diocese-annecy.fr/bx-ponce
http://quasimodosonneurdecloches.ch
Le patrimoine campanaire fribourgeois, édifition Pro Fribourg (2012)
Me Pascal Krafft, campanologue
Service patrimoine, mairie de Samoëns
Inventaire personnel / Matthias Walter, campanologue
Bulletins paroissiaux – début du XXe siècle, auteur : Le vieux chromiqueur